Dans plusieurs écosystèmes, les pics sont considérés comme des espèces clés. Cette désignation provient principalement de leur capacité à excaver des cavités qui seront ensuite disponibles pour plusieurs animaux cavicoles incapables de creuser leur propre cavité. De plus, leur sensibilité à la perte d'attributs forestiers, comme le bois mort et les arbres de gros diamètre, en font de bons bio-indicateurs de la qualité de l'habitat et de la biodiversité. Dans notre aire d'étude, le Pic maculé (Sphyrapicus varius) représente l'excavateur fournissant le plus grand nombre de cavités et les utilisateurs secondaires de petite taille sont grandement liés à la disponibilité des cavités créées par cette espèce. La sensibilité du Pic maculé à la perte de substrats de nidification, la perte de forêt mature et la fragmentation ont déjà été relevées dans la littérature scientifique.
La présente étude a donc pour but d'évaluer la qualité des parcelles résiduelles linéaires de forêt mature qui ont été épargnées par la coupe forestière, pour les besoins écologiques du Pic maculé. Cette étude s'inscrit dans une évaluation de l'importance du maintien de ces parcelles résiduelles de forêts âgées (> 80 ans) alors que la réglementation québécoise ne garantit pas leur protection à long terme.
Le premier chapitre compare la disponibilité et l'utilisation des substrats de nidification et d'alimentation du Pic maculé entre les parcelles de forêts âgées d'un paysage aménagé par la coupe et la forêt âgée d'un paysage sous régime de perturbations naturelles. Les données proviennent essentiellement d'un inventaire des arbres de 10 cm et plus de diamètre à hauteur de poitrine (dhp) dans des quadrats de 0,04 hectare (ha). Ces quadrats ont été disposés de façon systématique dans les sites des deux paysages, mais également autour d'arbres de nidification actifs. Les analyses montrent que la densité de substrats de nidification est similaire entre les deux types de paysages. Par contre, les parcelles résiduelles du paysage aménagé sont les hôtes d'une plus forte infection par un champignon (Phellinus tremulae) qui facilite l'excavation des substrats par le Pic maculé. De plus, les peupliers faux-tremble (Populus tremuloides) de gros diamètres sont davantage présents dans les quadrats situés autour des substrats de nidification que dans les quadrats systématiques situés dans les sites d'étude et ce, pour les deux types de paysages. Enfin, le Pic maculé utilise davantage le sapin baumier (Abies balsamea), l'aulne rugueux (Alnus rugosa) et les saules (Salix sp.) comme substrats d'alimentation dans le paysage aménagé.
Le deuxième chapitre évalue dans les mêmes paysages la qualité de l'habitat au moyen de mesures directes portant sur les paramètres de l'activité reproductrice et de l'activité d'alimentation du Pic maculé pendant la saison de reproduction. Ces données ont été recueillies en effectuant, pendant quatre étés, le suivi de nids actifs à l'aide d'une caméra fixée à une pôle télescopique. Nous avons également effectué des suivis du comportement d'alimentation des oisillons par les adultes à l'aide d'un télescope et d'une caméra. Ces suivis nous ont permis de comparer la fréquence à laquelle les adultes nourrissent les jeunes et la grosseur des bols alimentaires qu'ils rapportent au nid. Nous avons également fait le suivi des trajectoires utilisées par les adultes lorsqu'ils recherchent la nourriture dans le milieu. Les résultats montrent que 1) le succès reproducteur, 2) la fréquence d'alimentation des jeunes, 3) la grosseur des bols alimentaires rapportés aux jeunes ainsi que 4) les patrons de déplacement des adultes pour rechercher la nourriture, sont tous similaires entre les deux types de paysages.
Dans l'ensemble, les forêts résiduelles dans le territoire aménagé représentent un habitat de bonne qualité pour répondre aux besoins écologiques du Pic maculé, notamment par leur disponibilité en substrats d'alimentation et de nidification. De plus, cette étude suggère que l'activité reproductrice du Pic maculé dans les forêts résiduelles du paysage aménagé peut contribuer au maintien de populations locales dans cet environnement. Elle indique également par la productivité élevée qui y est observée, que les forêts résiduelles des paysages aménagés ne sont pas des habitats « fuites » (Pulliam, 1988) pour le Pic maculé, mais qu'au contraire ils peuvent contribuer de manière positive au maintien de populations locales de cette espèce dans notre secteur d'étude. Enfin, cette étude montre que le rôle fonctionnel du Pic maculé quant à sa capacité à creuser des cavités utilisables par d'autres espèces est maintenu dans les forêts âgées résiduelles de paysages aménagés.