Les changements climatiques pourraient entraîner une baisse de 20 à 40 % du contenu en eau des sols forestiers boréaux du Québec dans les prochaines décennies. L’impact de cet assèchement risque d’être particulièrement important pour le stade de régénération, qui représente 10 % de la superficie de la forêt boréale aménagée de la province. Le Québec produit annuellement 130 millions de semis pour la régénération suite aux travaux de récoltes. Comment ces semis s’adapteront-ils aux changements du climat ? Les espèces qui dominent présentement la forêt boréale pourront-elles continuer de croître dans des milieux plus secs ? L’objectif de nos travaux est de comprendre le la xylogénèse de la régénération face à la sécheresse. Les mécanismes morphologiques de la xylogénèse des conifères oscillent entre deux grandes stratégies d’adaptation : l’efficience et la sécurité. Nous avons mis en place un gradient expérimental de sécheresse à l’aide d’un système d’interception et de redistribution des précipitations comprenant 2 106 semis des quatre principales espèces de conifères de la forêt boréale (épinette noire, épinette blanche, pin gris, sapin baumier) dans la sapinière à bouleau blanc. Après trois années de traitement, nous avons analysé la xylogénèse de la dernière année de croissance en mettant l’emphase sur l’effet du gradient hydrique sur le compromis entre l’efficience et la sécurité hydraulique. Les variables de l’étude sont l’efficience observée par la conductance volumétrique théorique (Q théorique), la sécurité par la densité en traitement de l’image du cerne de croissance binaire entre le vide et la matière et par une subdivision du cerne de croissance en 10 périodes de temps. Les résultats du gradient hydrique ont été analysés en utilisant un modèle d’équation à quatre variables pour obtenir le potentiel hydrique des sols (ѱs) : la teneur en eau volumétrique du sol (ϴv), la capacité au champ (potentiel matriciel) (ѱm), le pourcentage de matière organique (% M.org) et l’humidité volumique (ρω). Les hypothèses sont que le sapin baumier sera plus plastique en termes de sécurité et d’efficience, que les épinettes ont un comportement fortement influencé par la sécurité et que le pin gris présente une approche plus efficiente. Finalement nous avons émis l’hypothèse que la sécurité (densité) serait contre proportionnelle à l’efficience (conductance volumétrique théorique Q). Nos résultats ont démontré que parallèlement à une diminution du potentiel hydrique des sols, on obtenait une meilleur conductance volumétrique théorique et une baisse de la densité pour l’épinette blanche et le sapin baumier. Nous n’avons pas constaté les effets de l’asséchement des sols pour le pin gris et l’épinette noire. Le sapin baumier et l’épinette blanche qui sont des espèces moins sensibles aux stress hydriques ont modelé leur xylogénèse en fonction du contenu en eau des sols à l’inverse du pin gris qui constitue l’espèce la moins sensible au manque d’eau et de l’épinette noire considérée comme la plus sensible. Plus précisément, les observations de la xylogénèse de l’épinette noire ont permis de conclure à son insensibilité au changement dans le gradient. L’épinette blanche a toutefois démontré comme pour le sapin baumier un comportement plastique et adaptatif en termes d’efficience et de sécurité proportionnellement au gradient de sécheresse imposé. Enfin, le pin gris a été l’espèce la plus efficiente comme nous en avions émis l’hypothèse, mais contrairement à ce que nous avions envisagé, il a aussi été l’espèce produisant les cellules de bois les plus denses. En conclusion, il est reconnu par la littérature que le manque d’eau affecte la croissance des semis, mais le comportement morphologique de cette relation est complexe. L’impact du manque d’eau sur l’architecture hydraulique et la croissance des semis dépend de plusieurs facteurs physiologiques propres à l’espèce et de l’environnement immédiat de l’individu. En regard des résultats issus de ce travail, il semble très difficile d’anticiper les interactions le long d’un gradient du contenu en eau des sols en milieu naturel à l’échelle aussi fine que la xylogénèse des semis des conifères boréaux. De plus, la théorie de l’efficience contre proportionnelle à la sécurité, dans un cas de changement du potentiel hydrique des sols pour des semis de conifères en milieux naturels, ne semble pas apporter les résultats généraux escomptés. En somme, cette étude, qui constitue une contribution aux recherches portant sur la dendroécologie, soulève plusieurs interrogations relativement aux comportements des semis face aux changements du potentiel hydrique des sols. Les interactions de la xylogénèse avec le parenchyme, les diverses ponctions latérales, les concepts de capacité d’absorption foliaire de l’eau et la plasticité de l’architecture hydraulique complète des semis constituent des points aveugles de la littérature que nous croyons pertinent de dévoiler.