Un changement climatique durant les deux derniers millénaires, matérialisé par plus de précipitations et surtout par moins d’incidences du rayonnement solaire (forçage orbital), a contribué à diminuer l’activité des grands feux dans les forêts de conifères du nord-est de l’Amérique du Nord, forêts cruciales pour le cycle du carbone planétaire. C’est ce que vient de démontrer une équipe franco-canadienne de chercheurs à laquelle participent Christelle Hély et Simon Brewer du Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement (CNRS | Université Paul Cézanne | Collège de France) et, Adam Ali et Christopher Carcaillet du Centre de bio-archéologie et d’écologie (CNRS | Université Montpellier 2 | Ecole Pratique des Hautes Etudes de Paris). Les partenaires canadiens proviennent du Service Canadien des forêts (Martin Girardin) et de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (Yves Bergeron). Ces chercheurs apportent une explication mécaniste et innovante aux processus liant les grands feux au climat en comparant des reconstructions paléoécologiques avec des simulations issues de modèles climatiques. Ces résultats apportent des renseignements précieux sur les changements de fréquence des grands feux de forêts depuis 150 ans et sur les possibles transformations attendus au XXIe siècle. Cette étude est publiée dans le périodique Geophysical Research Letters (GRL) de juillet-août 2010.
La longueur et la sévérité de la saison de feu a été reconstruite pour les 7000 dernières années dans l'est de la forêt boréale au Canada, au sud de la Baie d’Hudson, en utilisant (i) les charbons contenus dans les sédiments lacustres, (ii) l’information sur le climat obtenue à partir de modèles atmosphériques de circulation générale, et (iii) des reconstructions à partir des données paléoclimatiques. Ces résultats indiquent que de longues périodes de fréquence élevée d'incendie ont caractérisé la forêt boréale au cours des derniers millénaires (maximum enregistré de 6000 à 2000 ans avant nos jours). Ces périodes sont liées aux changements climatiques à long terme induits par les changements de forçage orbital (notamment, la position de la Terre par rapport au Soleil). Selon les auteurs, le réchauffement attendu associé au changement climatique d'origine humaine pourrait induire une augmentation de l'activité des feux contraire aux changements que génère le changement orbital. Ce renversement abrupt de la tendance millénaire induirait un changement dans l’activité des feux qui se rapprocherait du maximum de variabilité historique depuis 7000 ans.
Cette nouvelle étude est une combinaison innovante de a) données paléo-feux, b) simulations du climat obtenues à partir de modèles couplés avec un indice de feu-climat qui fournit une explication mécaniste sur les paléo-feux, et c) données paléoenvironnementales du climat. Les résultats démontrent que les conditions futures, qui potentiellement devraient être similaires aux conditions qui prévalaient 6000-2000 ans avant aujourd'hui, pourraient produire des régimes d'incendies plus importants que ce que l’on a connu récemment. Un tel changement aura des implications importantes sur les processus écologiques locaux liés ainsi que sur le cycle du carbone mondial. Grâce à cette étude fondée sur la comparabilité des données, les auteurs ont également démontré que les modèles de circulation générale du climat simulent l'évolution du climat et les conditions météorologiques propices aux feux de façon réaliste.
Les incendies de forêt constituent un des principaux moteurs du cycle du carbone mondial et de la chimie atmosphérique, et contribuent de façon importante au fonctionnement des écosystèmes terrestres et à la biodiversité. L'augmentation des incendies en forêt boréale de l’Amérique du Nord et en Eurasie au cours des trois dernières décennies nous a fait prendre conscience des causes potentielles de l'homme sur l'activité des feux de forêt. Le changement climatique d'origine humaine (c'est-à-dire induite par des concentrations croissantes de gaz à effet de serre dans l'atmosphère) est un facteur important de cette tendance à la hausse. Toutefois, depuis près de deux décennies des observations contradictoires dans la littérature ont conduit certains scientifiques et gestionnaires à s’interroger sur la probabilité d'une augmentation de l’activité des incendies en forêt boréale en lien avec le réchauffement de l'hémisphère Nord. Malgré le réchauffement et l’augmentation de l'incidence des grands feux de forêt dans les années 1980, plusieurs études ont indiqué une diminution à long terme de l'activité des feux en forêt boréale au cours des 150 dernières années.
Les conclusions de l’étude soulignent la fonction environnementale majeure des changements climatiques durant une période d’accélération du réchauffement dans le contrôle à grande échelle du régime des incendies. Ces recherches montrent que le climat est un déterminant naturel majeur du régime des grands feux.
Références
Hely, C., M. P. Girardin, A. A. Ali, C. Carcaillet, S. Brewer, and Y. Bergeron (2010),
Eastern boreal North American wildfire risk of the past 7000 years: A model-data comparison, Geophys. Res. Lett., doi:10.1029/2010GL043706
Contact chercheurs :
Europe
Christelle Hély
04 42 97 15 42
hely@cerege.fr
Canada
Martin Girardin
(418) 648-5826
Martin.Girardin@rncan.gc.ca