Le Grand Pic est considéré comme une espèce clé de voûte puisque ses cavités sont essentielles pour les écosystèmes forestiers. Les activités anthropiques fragmentent son habitat et ciblent les forêts matures dont il dépend pour nicher et se nourrir, ce qui peut perturber ses activités. Très peu de connaissances sont disponibles à propos de l’impact des activités agricoles et de récoltes forestières sur (1) la disponibilité de forêts propices à l’alimentation (2) la disponibilité de ressources alimentaires (arbres sénescents de grand diamètre et fourmis charpentières) et (3) la sélection de substrats et l’activité alimentaire du Grand Pic. Nous anticipions que les paysages perturbés présenteraient moins de forêts et d’arbres propices à l’alimentation et qu’ils seraient donc moins utilisés par le Grand Pic que les forêts non aménagées, mais que les caractéristiques des arbres sélectionnés pour l’alimentation ne changeraient pas entre les paysages et que plus de fourmis charpentières seraient retrouvées dans les forêts perturbées vu leur sélection pour les habitats secs et ensoleillés. Nous avons testé ces hypothèses en étudiant l’état des forêts à l’échelle du paysage en forêts boréales à l’aide des cartes écoforestières du Québec, en caractérisant systématiquement les arbres et les traces d’alimentation sur des transects et en plaçant des pièges appâtés dans ses sites pour étudier la présence de fourmis charpentières. Nos résultats nous indiquent que les paysages perturbés offrent peu de forêts et d’arbres propices pour l’alimentation en raison d’un rajeunissement de la matrice forestière qui augmente la quantité de jeunes peuplements dominés par les feuillus au profit de forêts plus âgées mixtes et conifériennes offrant des substrats cruciaux à l’alimentation et la nidification du Grand Pic. De plus, nos résultats démontrent qu’il ne présente qu’une faible plasticité dans son utilisation de substrats alimentaires, dévoilant une forte sélection pour la ressource rare que représentent les chicots de gros diamètre. Il s’adapte plutôt en concentrant ses activités alimentaires et de nidification dans le paysage non aménagé. En contrepartie, la fragmentation et le couvert à dominance feuillus des forêts perturbées donnent lieu à une plus grande présence de fourmis charpentières, ce qui suggère qu’il s’agit d’une ressource non limitante pour le Grand Pic. En définitive, un environnement perturbé où la structure d’âge diminue la disponibilité de gros arbres sénescents et morts dégrade la qualité de l’habitat d’alimentation du Grand Pic et pourrait compromettre la possibilité de supporter des populations abondantes vu sa faible plasticité alimentaire. Des régimes de coupe à rotation plus longue et la rétention de forêts mixtes et conifériennes offrant des chicots de taille intéressante devraient être considérés.