Les vieilles forêts constituent des habitats clés pour la diversité biologique en forêt
boréale. Elles sont cruciales au maintien des espèces qui utilisent les arbres à cavités
dans nos paysages forestiers, grâce entre autres, à un apport substantiel et constant
d'arbres sénescents et morts. Toutefois, un important gradient latitudinal passant de la
forêt mixte à la forêt de conifères démarque la forêt boréale de l'est du Canada. Ce
gradient de composition du couvert forestier se traduit par une réduction considérable
de la disponibilité d'arbres morts et sénescents de grand diamètre, et donc de la
qualité des substrats de nidification et d'alimentation de la faune utilisatrice d'arbres
à cavités. L'abondance et la qualité réduites de ces ressources comptent parmi les
causes probables de la limite nordique de répartition de plusieurs espèces de ce
groupe. La réponse fonctionnelle de la faune cavicole à ces changements régionaux
de composition et de structure du couvert forestier boréal demeure peu connue. Cette
thèse propose une analyse quantitative de cette question selon des thèmes qui
abordent dans trois chapitres ; (1) la distribution de la faune associée aux arbres à
cavités en région de pessière à mousses (2), la structure des réseaux d'utilisateurs de
cavités entre les régions de la forêt mixte et de la forêt de conifères dominées par
l'épinette noire et enfin (3) le rôle d'espèce parapluie du Grand Pic (Dryocopus
pileatus).
Le premier chapitre examine l'importance des forêts âgées mixtes et de conifères
pour les oiseaux associés au bois sénescent et mort selon un gradient d'âge, de
structure et de composition forestière en pessière à mousses, une portion de la forêt
boréale dominée par une matrice d'épinettes noires. Nos résultats montrent que les
vieilles forêts mixtes qui ne représentent que 4 % du recouvrement forestier dans
cette région d'étude étaient de loin les plus utilisées par l'avifaune associée au bois
sénescent et mort. Dans les vieilles forêts de conifères, ces oiseaux ont montré une
réponse modale au vieillissement alors que leur richesse en espèces atteint son
maximum à 160 ans pour décliner par la suite. Les très vieilles forêts entourbées,
représentant plus de 40 % du territoire d'étude, ont étés associées à une richesse
d'espèces significativement plus pauvre d'oiseaux cavicoles et corticoles. La diversité
structurale des tiges est la variable d'habitat qui explique le mieux la richesse
d'espèces de ce groupe fonctionnel ainsi que l'abondance de traces d'alimentation des
pics. Chez les espèces individuelles, la quantité et la qualité d'arbres morts dans un
peuplement expliquent le mieux leur occurrence et l'abondance de leurs traces
d'alimentation. Nous concluons qu'en pessière à mousses la conservation de
l'avifaune associée au bois mort devrait être priorisée dans les peuplements productifs
mixtes et résineux.
Le deuxième chapitre traite du changement, de la persistance et de la robustesse des
réseaux écologiques le long d'un gradient latitudinal traduisant la transition de la
composition d'un couvert forestier dominé par des peuplements mixtes à un couvert
dominé par les conifères, qui s'étend sur plus de 200 km en forêt boréale. Les réseaux
d'utilisateurs de cavités dans ce biome sont souvent composés d'une minorité
d'espèces ayant de nombreuses interactions. Il est suggéré que de tels réseaux soient
peu robustes à la perte d'espèces clés de voûte. De plus, tout au long de ce gradient
un agent important de transformation des habitats forestiers, le castor d'Amérique
(Castor canadensis) inonde par ses ouvrages de rétention d'eau des forêts qui
entraînent la mortalité synchrone d'arbres qui deviennent propices à être excavés par
les pics et utilisés par la communauté cavicole. À l'aide de données portant sur la
reproduction d'espèces cavicoles récoltées le long de ce gradient latitudinal, tant dans
les forêts fermées que dans les forêts ouvertes inondées par le castor nous montrons
que des changements structurels dans les réseaux d'utilisateurs de cavités sont
associés à des changements importants dans la disponibilité d'arbres adéquats à
l'excavation de cavités. Nous observons que le rôle clé joué par le peuplier fauxtremble
persiste dans les forêts mixtes au nord de ce gradient qui sont souvent isolées
et ne représentent qu'une très faible proportion du territoire dans ces grandes matrices
forestières résineuses. Ces forêts ont des réseaux riches, complexes et très similaires à
ceux trouvés dans les forêts mixtes situées plus au sud. Au contraire, les forêts
boréales résineuses avaient une densité très faible d'arbres de nidification. Nous
montrons que les peuplements forestiers inondés par le castor ont hébergé des réseaux
riches et complexes dans les deux régions. Tandis que le Grand Pic reste tant au nord
qu'au sud de la forêt boréale, l'espèce clé de voûte pour les utilisateurs secondaires de
grande taille en forêts fermées, le Pic flamboyant, était l'espèce responsable de la
majorité de cavités de moyenne à grande taille dans les forêts résineuses à canopée
ouverte et fermée. Des analyses simulant le retrait d'espèces clés de voûte montrent
que les réseaux des forêts fermées sont peu robustes à la perte du peuplier fauxtremble
et à moindre degré, à la perte du Grand Pic. Les forêts inondées par le castor
montrent une plus grande robustesse due à une diversité accrue d'espèces d'arbres
pour l'excavation de cavités.
Ayant ciblé dans les chapitres précédents les vieilles forêts mixtes de peuplier fauxtremble
comme des habitats à prioriser pour la conservation de l'avifaune associée au
bois mort et le Grand Pic comme une espèce clé de voûte, le troisième chapitre porte
sur l'évaluation de cet excavateur comme une espèce parapluie pour la faune cavicole
en forêt boréale. Nous vérifions l'hypothèse selon laquelle la conservation de
l'habitat pour le Grand Pic conserverait aussi l'habitat des autres espèces cavicoles vu
que cette espèce est très exigeante en ce qui concerne la qualité de son habitat. Nos
résultats montrent que le Grand Pic sélectionne fortement les peuplements qui sont
aussi sélectionnés par la grande majorité des utilisateurs de cavités : les vieux
peuplements de forêts mixtes avec peupliers faux-trembles. Le Grand Pic est l'espèce
dont la présence d'une cavité à un site est la plus susceptible de prévoir la présence de cavités de nidification des autres espèces cavicoles. De plus, son modèle de sélection
d'habitats est celui qui explique le mieux la richesse des autres espèces cavicoles et
qui s'avère être le plus efficace pour prioriser les sites les plus riches en espèces
cavicoles. Le Grand Pic peut donc être considéré comme une espèce parapluie pour
ce qui est de la qualité de l'habitat de reproduction de l'ensemble de la faune cavicole
associée aux forêts mixtes, un compartiment clé de la biodiversité en forêt boréale.
Cette thèse montre que l'âge, la productivité et la composition des forêts boréales sont
des facteurs clés dans le maintien de la diversité spécifique et fonctionnelle de la
faune associée au bois sénescent et mort. Les vieilles forêts mixtes, malgré leur faible
représentation dans le paysage sont désignées comme habitats clés et devraient être
ciblées pour la conservation. Dans ces forêts, le Grand Pic joue le double rôle
d'espèce clé de voûte et d'espèce parapluie pour la faune cavicole. Les vieilles forêts
résineuses sont généralement pauvres, mais semblent cruciales pour l'alimentation du
Pic à dos noir et du Pic à dos rayé. Toutefois, la faible contribution des vieilles forêts
résineuses aux réseaux d'utilisateurs de cavités est compensée par les réseaux
complexes d'espèces cavicoles dans les forêts ouvertes par l'activité du castor dans
les marais sur l'ensemble du territoire.