L'aménagement de zones réservées à la production ligneuse intensive permet d'augmenter la productivité forestière et peut, du même coup, aider à diminuer la pression de coupe sur la forêt naturelle tout en profitant aux industries transformant la ressource ligneuse.
Toutefois, la remise en production de territoire forestier récolté n'est pas garantie et peut mener à des échecs de régénération, ce qui compromet l'aménagement durable du territoire. Les échecs survenant après le reboisement se produisent lorsque les traitements sylvicoles ainsi que la préparation de terrain ne sont pas adaptés aux exigences physiologiques de l'espèce que l'on souhaite remettre en production. L'épinette blanche (Picea glauca [Moench] Voss) est l'une des principales espèces utilisées pour le reboisement, surtout en forêt boréale mixte, mais les échecs de régénération de cette espèce sont fréquents, notamment dans la ceinture d'argile du Québec. Pour comprendre les déterminants environnementaux et physiologiques menant à la stagnation de la croissance de cette espèce, le développement de quelques provenances d'épinette blanche, dont une locale de la forêt boréale mixte, a été comparé au développement d'une provenance d'épinette noire (Picea mariana [Mill.] B.S.P.) locale de la forêt boréale mixte, ainsi qu'au développement de quelques provenances d'épinette de Norvège (Picea abies [L.] Karst.), une espèce étrangère, mais qui possède un potentiel de croissance élevé.
L'hypothèse générale défendue dans cette thèse pour expliquer la stagnation de la croissance de l'épinette blanche sur la ceinture d'argile soutient que la présence des argiles humides ralentie le réchauffement du sol et accentue le phénomène d'inversion de la température de l'air, ce qui génère de fréquents évènements de gel printanier qui endommagerait les méristèmes (apicaux et latéraux) responsables de la croissance en hauteur et en diamètre, respectivement. Ces dommages ont respectivement comme conséquence de retarder la croissance en hauteur des arbres et de former des cernes de gel dans les cernes de croissance.
Dans cette thèse, déclinée en quatre chapitres, l'effet négatif du gel sur le développement des épinettes a été quantifié au niveau de l'arbre et au niveau du paysage régional de l'Abitibi-Ouest. Les études faisant l'objet des trois premiers chapitres ont été effectué au niveau de l'arbre dans deux plantations expérimentales établies en 2002 dans la forêt boréale mixte (Forêt d'enseignement et de recherche du lac Duparquet) et la forêt tempérée (Angliers). Le premier chapitre s'intéresse aux facteurs environnementaux (probabilité de gel, température et photopériode) déterminant la séquence de débourrement des bourgeons. Le deuxième chapitre quantifie à la sévérité des dommages aux cellules cambiales causés par le gel ainsi que son impact sur la croissance en hauteur. Le troisième chapitre quantifie l'importance de la topographie et de la microtopographie sur la température minimale et la probabilité de gel survenant durant la saison de croissance. Le quatrième et dernier chapitre s'effectue au niveau du paysage régional de l'Abitibi-Ouest et s'intéresse aux facteurs topographiques et biotiques (espèces, âge) expliquant le mieux la croissance des arbres et leurs dommages causés par le gel.
Dans le premier chapitre, il a été démontré que la séquence de débourrement des bourgeons était d'abord déclenchée par la probabilité d'occurrence de gel et la photopériode, puis répondait à l'augmentation de la température de l'air. Spécifiquement, l'ouverture plus hâtive des bourgeons de l'épinette blanche comparativement à l'épinette noire et à l'épinette de Norvège était déclenchée par une plus grande sensibilité à la photopériode, surtout en forêt tempérée, ce qui augmente leur exposition aux gelées printanières. De plus, l'analyse intraspécifique a montré que, lorsque planté au nord, les provenances d'épinettes blanches du sud étaient plus sensibles à la photopériode que la provenance naturellement résidente à la forêt boréale mixte, ce qui déclenche l'ouverture plus hâtive de leurs bourgeons. Donc, dans les environnements où le dommage par le gel est rare, l'ouverture des bourgeons est contrôlée par la photopériode alors que dans les environnements où le dommage par le gel est plus fréquent, l'ouverture des bourgeons est contrôlée par la température.
Au deuxième chapitre, il a été établi que la croissance en hauteur des trois espèces d'épinettes étudiées était réduite plus la sévérité des dommages aux cellules cambiales était forte. De plus, l'épinette blanche est l'espèce qui présente la plus forte réduction en hauteur à la forêt boréale mixte. Au niveau intraspécifique, la hauteur des provenances d'épinettes blanches du sud était réduite comparativement à la hauteur de l'épinette blanche locale. Cependant, le gel printanier ne semble réduire la croissance en hauteur que sur les premiers deux mètres de hauteur, donc, planter des arbres plus grands et sur des buttes pourrait réduire la durée de la période de suppression de la croissance. Enfin, la croissance en hauteur des arbres était mieux prédite par la température minimale du mois de mai que par la température moyenne annuelle.
Au troisième chapitre, il est démontré que lors d'évènements de gel, le phénomène d'inversion de la température de l'air a permis la formation de pochettes de gel dans le bas des pentes où la température a atteint -2 °C, comparativement au haut des pentes où la température minimale a atteint 2 °C. L'importance de la microtopographie augmente aux endroits où le gel printanier est moins fréquent, comme en forêt tempérée. Cependant, dans les environnements où le gel printanier est fréquent, comme à la forêt boréale mixte, l'élévation est la variable la plus importante pour prédire l'intensité et la probabilité de gel survenant durant la saison de croissance. Cette forte variation de température sur un court gradient d'élévation peut probablement aussi expliquer la grande variation en hauteur intraspécifique observée à même une plantation.
Au dernier chapitre, il est montré que le phénomène de la stagnation de la croissance est important à l'échelle du paysage régional de l'Abitibi-Ouest, surtout pour l'épinette blanche, puisque même si l'arbre le plus haut de chaque parcelle suit le développement prédit par les courbes de croissance développées par le gouvernement, à l'intérieur d'une parcelle, il y a une forte variabilité en hauteur entre l'arbre le plus grand et l'arbre le plus petit (~2 mètres). Par surcroît, les arbres sont les plus petits lorsqu'ils sont plantés dans le bas des pentes de forme concave.
Les travaux de recherche présentés dans cette thèse ont montré que les évènements de gel survenant durant la saison de croissance se produisent fréquemment à l'écotone de la forêt tempérée et boréale et pourrait causer le phénomène de la stagnation de la croissance des plantations d'épinettes sur la ceinture d'argile. Puisque l'épinette blanche s'expose plus aux gelées printanières, cette espèce est plus sévèrement affectée par le gel que l'épinette noire. Suivant les résultats obtenus par l'analyse de tige nous avons élaborer des recommandations pratiques pour limiter la perte de productivité des plantations associée au gel printanier. Nos travaux ont aussi mené à des avancées théoriques qui remettent en question la mécanique des modèles écophysiologiques expliquant le débourrement des bourgeons en plus de discuter de l'effet des changements climatiques sur la future séquence de développement des bourgeons et de la productivité des plantations d'épinettes à l'avenir. Les connaissances acquises par les travaux de recherche menés dans le cadre de ma thèse montrent que les évènements climatiques extrêmes survenant lors de moments spécifiques du cycle de dormance-croissance ont des conséquences plus importantes sur la physiologie et la croissance des arbres que les variables climatiques agrégées et contribuent à l'aménagement durable de la forêt boréale mixte de l'ouest du Québec.