Les perturbations naturelles sont aujourd’hui reconnues comme étant des parties intégrantes de la dynamique des forêts, voire même essentielles à la diversité et au fonctionnement des écosystèmes. C’est pourquoi depuis quelques années, on croit que la meilleure façon de conserver la biodiversité et les fonctions essentielles des écosystèmes forestiers soumis aux pratiques d’aménagement serait d’émuler les processus de perturbation naturelle se déroulant dans les forêts non aménagées. Bien que l’importance des perturbations intermédiaires soit de plus en plus reconnue, la plupart des travaux sur l’émulation des perturbations naturelles s‘est concentrée sur le feu. Toutefois, un aménagement basé sur la compréhension des régimes des perturbations naturelles ne peut pas être axé exclusivement sur la dynamique des feux, ignorant le rôle des perturbations moins sévères ou survenant à de plus petites échelles.
Les épidémies de la tordeuse des bourgeons de l’épinette (TBE) constituent après les feux, la plus importante perturbation affectant la forêt boréale. Certains auteurs ont souligné des similitudes entre les épidémies sévères de la TBE et la coupe avec protection de la régénération et des sols (CPRS). Ces deux perturbations s’attaquent aux arbres matures en affectant peu ou pas la régénération préétablie et les sols. Pour arriver à modifier un aménagement forestier afin qu’il s’approche davantage d’un processus naturel, il est essentiel de caractériser précisément les différences et les similarités entre perturbations naturelle et anthropique. Nous proposons, dans le cadre de cette étude, de comparer les effets des CPRS à ceux des épidémies de la TBE dans les peuplements résineux de la sapinière à bouleau blanc dans la région de la Gaspésie. Puisqu’une éclaircie pré-commerciale (EPC) est systématiquement faite après chaque CPRS, et qu’il n’est pas possible de départager les effets de ces deux pratiques, la CPRS et l’EPC constituent ensemble la perturbation anthropique étudiée. Pour mieux comprendre les phénomènes écologiques impliqués dans ces deux types de perturbation, l’étude a été réalisée à deux échelles, soit celle du peuplement et celle du paysage. À l’échelle du peuplement, 10 stations issues de CPRS effectuées en 1989 et 10 stations sévèrement affectées par la plus récente épidémie de la TBE ont été étudiées. L’échantillonnage de données de végétation a permis d’évaluer les effets de ces perturbations sur l’abondance de matière organique telle que les chicots, les débris ligneux, les arbres résiduels, ainsi que la régénération retrouvée une quinzaine d’années après les perturbations. À l’échelle du paysage, l’interprétation de photographies aériennes a permis de caractériser la taille, la forme, et la distribution spatiale des ouvertures créées par ces perturbations. Les résultats obtenus montrent que les espèces compagnes du sapin baumier, soit l’épinette blanche et le bouleau à papier, ont été favorisées par l’épidémie de la TBE, tandis que les CPRS+EPC semblent plutôt favoriser la dominance du sapin. Les peuplements issus de l’épidémie présentent plus d’éléments structuraux tels que les arbres résiduels, les chicots et les débris ligneux en plus de présenter plus de variabilité horizontale sur le plan de la densité des tiges de plus de 2 m de haut. Les peuplements issus de CPRS+EPC présentent une plus grande diversité d’espèces d’arbre pour les strates inférieures alors que les peuplements issus de l’épidémie montrent une plus grande diversité pour les strates supérieures. Ainsi, nos résultats suggèrent que l’on devrait tenter de préserver les espèces compagnes lors de l’aménagement des forêts dominées par le sapin baumier, ainsi que certains éléments structuraux essentiels au fonctionnement des écosystèmes. De cette façon, il sera possible de conserver la variabilité naturelle et la biodiversité végétale et animale de ces forêts, et ainsi favoriser la résilience de ces écosystèmes. À l’échelle du paysage, contrairement à ce que l’on s’attendait, les ouvertures créées par la TBE ont des formes plus régulières que celles créées par les CPRS. Par contre, étant donné leur taille grandement supérieure, les ouvertures créées par les CPRS ont tout de même moins de bordure par unité de surface. Ces résultats suggèrent que l’agrégation des unités de coupe devrait être limitée, comme dans le cas des coupes mosaïques. Par contre, les coupes mosaïques telles que pratiquées aujourd’hui, se font à une échelle trop grossière par rapport à la fine mosaïque créée par l’épidémie de la TBE.