Dans le cadre de ce travail de maîtrise, deux chapitres distincts sont présentés, ayant en commun l'influence de variables environnementales sur la qualité d'habitat du Tétras du Canada (Falcipennis canadensis) dans la pessière noire à mousses de l'Ouest du Québec. Dans la première étude, l'influence d'origine anthropique du morcellement, de la perte et de la modification de l'habitat du Tétras du Canada sur la variabilité de la qualité d'habitat a été mesurée par des recensements printaniers et une caractérisation à l'échelle des individus. Utilisant des nids artificiels, la seconde étude a permis d'approfondir les connaissances liées à l'influence des coupes partielles sur le risque de prédation des nids de Tétras du Canada, consécutivement à la modification de son habitat et de la visibilité des nids. Des méthodes novatrices ont été utilisées dans les deux études, permettant d'apporter des informations nouvelles applicables en foresterie, mais aussi d'un point de vue méthodologique d'enrichir le débat relatif à l'utilisation des nids artificiels.
L'objectif de la première étude était d'évaluer la qualité des forêts résiduelles, en tant qu'habitat pour le Tétras du Canada. Nous avons évalué la qualité des habitats en analysant la probabilité de présence observée des individus en fonction des superficies forestières potentiellement utilisables par cette espèce. Cette approche est nouvelle puisque les études antérieures utilisaient les stations d'appel comme élément de comparaison, sans tenir compte de la disponibilité d'habitat autour de ces stations. Enfin, nous avons affiné notre évaluation de qualité d'habitats en analysant individuellement les paramètres morphologiques des oiseaux capturés, et en vérifiant l'hypothèse selon laquelle les meilleurs habitats abritent les individus en meilleures conditions physique, en plus des individus les plus actifs dans la reproduction. Au cours des printemps 2003 et 2004, 432 points d'appel indépendants ont été effectués, permettant de contacter 323 tétras dont 110 ont été capturés afin de leur associer des attributs individuels (âge, poids, longueur du tarse et du bec). La qualité d'habitat a été estimée à partir (1) de la présence observée des individus sur les points d'appel (2) des attributs individuels (3) de la composition du paysage à l'intérieur de disques de 200 et 500 m de rayon centrés sur le point d'appel et (4) de mesures locales d'habitat. Dans les disques de 500 m, la composition du paysage n'a influencé ni la probabilité de présence, ni les attributs des individus ayant répondu à l'appel. Dans les disques de 200 m, la proportion de perturbations anthropiques a eu une influence négative sur la présence des tétras, tandis que cette dernière n'a pas été influencée par la proportion de forêts résiduelles hautes de 7 m et plus. La présence d'un cours d'eau à moins de 100 m de la station et un couvert latéral local plus dense ont augmenté les chances de présence d'un individu sur une station. Parmi les oiseaux capturés au point d'appel, la proportion d'adultes était la plus faible lorsque la proportion des perturbations anthropiques était plus forte à l'intérieur du disque. Parmi les mesures pouvant améliorer l'habitat du Tétras du Canada, la préservation des peuplements forestiers abritant un cours d'eau et la réduction des surfaces de coupes qui leur sont adjacentes pourraient être efficaces. Ces recommandations s'appliqueraient particulièrement dans le cas des séparateurs de coupes, souvent étroits, sensibles aux chablis et qui sont récoltés avant que les peuplements récoltés adjacents ne soient redevenus favorables au Tétras du Canada.
Le premier objectif de la seconde étude était de mesurer l'influence des coupes partielles sur le risque de prédation des nids de Tétras du Canada en période de ponte, alors que la femelle est temporairement absente du nid, et de vérifier l'hypothèse selon laquelle l'ouverture artificielle du peuplement induit une augmentation de la vulnérabilité de la ponte. Le second objectif visait à vérifier que le comportement de recouvrement des oeufs décrit par McCourt et al. (1973) pouvait avoir un effet positif sur la dissimulation de la ponte, et réduire le risque de prédation des oeufs laissés sans surveillance. Le risque de prédation induit par la coupe partielle, la période critique durant laquelle la femelle abandonne temporairement son nid avant d'incuber et le comportement de recouvrement des oeufs sont à notre connaissance tous trois pris en compte pour la première fois chez un gallinacé. Des nids artificiels similaires aux nids de Tétras du Canada ont été utilisés pour comparer, pendant la période naturelle de ponte, les risques de prédation entre des peuplements traités en coupes partielles (24% et 34% de la surface terrière récoltée) et des peuplements non coupés. L'efficacité du recouvrement des oeufs de poule et de plasticine sur la survie des couvées a également été mesurée par cette méthode. Nous avons interprété les résultats selon trois définitions de la prédation : 1) la définition "classique" habituellement utilisée avec les nids artificiels (un nid prédaté contient au moins 1 oeuf détruit, ou déplacé, ou disparu, ou mordu); 2) une définition qui exclut les petits mammifères incapables de consommer les oeufs de Tétras du Canada à cause de leur taille; 3) une définition nouvelle et plus réaliste qui tient compte des événements pouvant réellement affecter la survie des oeufs. Les taux de prédation mesurés ne variaient pas significativement entre les peuplements traités et non traités (p>0.9), quelle que soit la définition de la prédation. Selon la définition classique, les petits mammifères étaient responsables de 80.2% des prédations totales. Le recouvrement des oeufs réduisait significativement le risque de prédation seulement lorsque la visibilité proche des nids était élevée (p<0.01). En excluant les petits mammifères, le recouvrement des nids réduisait le risque de prédation de 83%, les oiseaux, les carnivores et les écureuils détectant principalement les nids découverts (p<0.001). Avec la définition la plus réaliste, le taux de prédation des nids était très faible (0.07), soit 75% plus faible que selon la définition "classique". Toujours selon cette définition, malgré leur incapacité à ouvrir les oeufs, les petits mammifères étaient responsables de 65.4% des prédations totales, et bien que le recouvrement n'était pas significatif, les nids recouverts étaient deux fois moins prédatés que les nids découverts. Ces résultats suggèrent que l'éventualité du comportement de recouvrement des oeufs devrait être prise en compte dans les études futures utilisant les nids artificiels et visant les espèces forestières nidifuges. © 2005 UQAT tous droits réservés.