La présente recherche doctorale est une composante d’un vaste projet de recherche
visant à analyser les incidences du climat et des régimes de perturbations sur la
structure et la dynamique des peuplements de peuplier faux-tremble au Canada, dans
un contexte des changements climatiques.
En Amérique du nord, les écosystèmes forestiers sont particulièrement sensibles aux
variations du climat. Ce dernier affecte les processus écologiques et les régimes de
perturbations naturelles agissant à différentes échelles temporelles et spatiales. Le
réchauffement climatique projeté et l’altération du régime des précipitations qui lui
est associé, sont susceptibles d’entraîner une aggravation de la sécheresse et du stress
de chaleur dans les latitudes nordiques; et par conséquent, des augmentations
régionales des taux de perturbations naturelles et des changements régionaux dans la
croissance et la productivité des forêts. Dans les forêts du Canada, les impacts des
changements climatiques en cours se font déjà sentir, à travers notamment une
tendance globale à l’augmentation des précipitations dans la partie Est de la zone
boréale, et des épisodes de sécheresses importantes dans la zone boréale intérieure de
l’Ouest canadien. Ces changements sont prévus pour se poursuivre dans le futur, avec
possiblement aussi des sécheresses dans la partie Est si l’augmentation des
précipitations sera probablement plus que compensée par la demande en évaporation
associée à la hausse des températures.
Dans un contexte de gestion écosystémique, qui tient compte de variations
climatiques futures en région boréale, le maintien de fonctions et de l’intégrité
écologique des forêts représente un défi pour les gestionnaires. Le but principal de
cette recherche doctorale consiste à analyser les effets de la variabilité du climat et
des régimes de perturbations (naturelles et anthropiques) sur la dynamique forestière
du peuplier faux-tremble ou tremble (Populus tremuloides Michx.), en
échantillonnant le long d’un gradient longitudinal (gradient de « précipitation »),
traversant toute la forêt boréale du Canada. Cette recherche doctorale se divisait en
trois objectifs spécifiques présentés en chapitres : (1) examiner l’occurrence et
l’abondance de la régénération des différentes espèces de conifères (épinette blanche,
épinette noire et sapin baumier) dans les peuplements dominés par le tremble, le long
d’un transect Est-Ouest dans la forêt boréale mixte du Canada; (2) analyser les effets du climat et des régimes de perturbations sur la structure et la composition des
peuplements dominés par le tremble, à travers le gradient de l’étude; et (3) examiner
les relations entre la croissance du tremble et les facteurs environnementaux, incluant
le climat et les propriétés physiques et chimiques du sol minéral, le long du gradient
de l’étude. Les peuplements de l’étude se retrouvent dans un large éventail de
conditions climatiques, de régimes de perturbations et d’historique d’aménagement.
En dépit du contraste marqué dans les conditions climatiques et les régimes de feux
entre l’Ouest (plus sec, avec des grands feux récurrents) et l’Est (plus humide, avec
des cycles de feu relativement longs) de la forêt boréale du Canada, les principaux
résultats de cette recherche montrent que : (i) dans le premier chapitre, la régénération
coniférienne était présente dans le sous-couvert des tremblaies tout au long du
gradient de l’étude, excepté dans les peuplements affectés par les activités
anthropiques. Toutefois, le patron de distribution spatiale de l’abondance et
l’occurrence a varié d’une espèce de conifères à l’autre; (ii) dans le deuxième
chapitre, en classant les peuplements de l’étude parmi trois principaux types
structuraux (juvénile, intermédiaire et mature) et de composition (tremblaies pures,
presque pures et moins pures), le patron de distribution de types structuraux et
compositionnels dans les peuplements de tremble n’était pas très différent entre les
régions Est et Ouest du gradient de l’étude. Cependant, les principaux facteurs qui
modèlent le patron de distribution observé dans la structure et la composition des
tremblaies étaient différents entre les deux régions; (iii) dans le troisième chapitre, en
utilisant l’indice de qualité de station comme une mesure de la croissance en hauteur
du tremble en terme de productivité, il a été observé que la productivité du tremble a
varié différemment d’un endroit à un autre dans la zone d’étude, dépendamment de
l’interaction entre le climat régional et les conditions du sol. Toutefois, la productivité
du tremble était meilleure dans les parties Est et Ouest du gradient longitudinal de la
forêt boréale du Canada, tandis qu’elle a diminué dans la partie centrale du gradient
de l’étude. L’augmentation du déficit en eau a été identifiée comme un facteur majeur
affectant négativement la productivité du tremble dans la zone d’étude, en interaction
avec la fertilité du sol (disponibilité en phosphore). Malgré les projections
climatiques indiquant une augmentation de la température et des précipitations dans
certaines régions boréales du Canada, les augmentations dans les précipitations
prévues dans les plaines boréales (zone intérieure de l’ouest canadien) seraient
insuffisantes et ne pourraient pas totalement compenser l’augmentation de
l’évapotranspiration induite en raison des températures accrues qui sont prédites. Cet
effet de sécheresse est prévu pour être plus important dans la partie Ouest de la forêt
boréale, et plus modeste dans la partie Est de la forêt boréale du Canada. Outre le fait
que le déficit en eau représente un important facteur contrôlant la productivité du
tremble, l’analyse de régression multiple a révélé que les conditions de sécheresse
sévère sont également un déterminant majeur dans le recrutement de la régénération
coniferienne le long du gradient longitudinal dans la forêt boréale mixte. Ce résultat
suggère également que la récurrence des feux sévères qui découle des conditions de sécheresse du milieu pourrait, par conséquent, conduire à une augmentation de
l’abondance relative des espèces pionnières feuillues tel que le tremble dans les
couverts forestiers boréaux, au détriment de celle des espèces de fin de succession
non adaptées à la perturbation du feu, sous les conditions climatiques futures. Une
altération du régime naturel de feux qui résulterait en une augmentation dans la taille,
la fréquence et la sévérité des feux de forêt dans le futur, pourrait conduire vers une
simplification de la structure et de la composition des paysages forestiers en région
boréale, en raison du redémarrage fréquent de la dynamique successionnelle. A cet
égard, la capacité des écosystèmes de la forêt boréale à fournir des biens et services
tels que le bois ou la biodiversité peut devenir de plus en plus variable, notamment
suite à la diminution de la proportion des vieilles forêts à structure complexe. Par
ailleurs, cette recherche a également montré qu’il était difficile d’interpréter les
impacts de changements climatiques sur le recrutement des conifères ainsi que la
structure et la composition des peuplements de tremble, sans tenir compte des effets
superposés des activités anthropiques. Les résultats de ce doctorat ont des
implications importantes pour les utilisateurs de la ressource, afin de mieux cibler les
stratégies sylvicoles qui tiennent compte des variations locales et régionales dans les
conditions environnementales en forêt boréale du Canada.