La pessière à mousses ou à éricacées de l’est du Canada est l’un des domaines bioclimatiques où l’exploitation ligneuse est la plus intensive. Des études montrent que, dans ces forêts paludifiées, la coupe avec protection de la régénération et des sols (CPRS), pratiquée depuis les années 1990, en empêchant toute réduction de l’épaisseur de matière organique, peut entraîner une moindre productivité des peuplements de génération en génération. Peu de données sont disponibles sur la croissance des peuplements après CPRS en milieu paludifié et les processus qui régissent cette croissance.
Ce projet se proposait de confirmer et d’expliquer l’existence d’une différence de croissance in situ entre deux générations successives d’épinettes noires après CPRS. La première génération est issue de feux anciens et la deuxième de la CPRS de cette forêt. Des analyses de tiges ont été utilisées pour comparer la croissance en hauteur juvénile de la régénération issue de CPRS à celle du peuplement précédent dont des témoins persistent dans les séparateurs secs des coupes. Les croissances mesurées ont été mises en perspective avec celles de peuplements issus de feux récents. Notre hypothèse était que les peuplements issus de CPRS devraient être moins productifs que les peuplements naturels qui étaient en place avant la coupe, eux-mêmes moins productifs que les peuplements issus de feu récent, en lien avec les meilleures conditions climatiques de croissance actuelles. Onze sites ont été sélectionnés selon un gradient de productivité potentielle déterminée par l’épaisseur de matière organique. 320 tiges d’avenir de CPRS, 160 tiges marchandes de séparateurs et 120 tiges d’avenir de feu récent ont été récoltées selon la méthode du quadrat centré sur le point. Des mesures d’épaisseur de matière organique, de recouvrement des strates muscinale, herbacée et éricacée et d’allométrie ont été prises et le mode de régénération des tiges (semis/marcotte) a été déterminé afin d’expliquer les différences de croissance observées selon l’origine des peuplements. L’effet de ces variables sur la croissance a été testé par le biais de modèles mixtes linéaires. Nos résultats montrent que les peuplements issus de CPRS ont une croissance en hauteur significativement supérieure à celle de la forêt d’origine (en moyenne 13,9 ± 6,6 cm/an contre 8,4 ± 0,7 cm/an). Les mauvaises performances de la forêt d'origine sont dues à sa date d’installation après feu plus tardive qu’attendue, résultant en une croissance sous couvert de la majorité des tiges. Cependant, la croissance après CPRS est significativement inférieure à celle observée dans des brûlis récents (18,9 ± 6,3 cm/an en moyenne), dans lesquels le feu a réduit l’épaisseur de la matière organique. Nos résultats suggèrent que, dans les CPRS, le plein potentiel de croissance attendu par les aménagistes n’est toujours pas atteint quinze ans après coupe.
Les méthodes de préparation de terrain visant la réduction de l’épaisseur de matière organique semblent prometteuses pour maintenir ou accroître la productivité de ces peuplements paludifiés. Toutefois, nos résultats montrent que l’épaisseur de matière organique n’est pas le seul facteur conditionnant la productivité des peuplements. Les feux semblent avoir d’autres effets positifs, notamment au niveau de la qualité de la matière organique résiduelle. Des mesures prospectives sur la chimie des sols réalisées dans nos sites d’étude le laissent supposer. D’autres techniques de préparation de terrain devraient donc être envisagées afin de réduire l’écart de productivité entre feux et coupes.
Les résultats de ce projet ont permis d’accroître les connaissances sur la croissance après perturbations de l’épinette noire en conditions limitantes, afin que les aménagistes puissent élaborer et appliquer des stratégies et des pratiques d'aménagement forestier durable, tenant compte de la productivité de l’espèce dans ces secteurs paludifiés.