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14. Influence de la diversité structurelle des vieilles forêts sur les communautés ornithologiques boréales

Responsable

 Jacques Ibarzabal

Collaborateurs

 Maxence Martin, Junior Tremblay, Hubert Morin

Étudiants

 Inès Diamant

Problématique

Le maintien des habitats et des services écosystémiques fournies par les forêts naturelles est devenu un enjeu majeur d’aménagement et de conservation dans le contexte actuel des crises climatiques et de biodiversité (Watson et al., 2018). Les vieilles forêts ont une place prépondérante dans ce contexte, en raison des multiples habitats et services qu’elles fournissent ainsi que de leur importante régression dans les territoire aménagés (Martin et al., 2022; Wirth et al., 2009). Une part importante des vieilles forêts restantes se trouvent ainsi dans les paysages boréaux, en raison d’une pression des activités industrielles plus récente en comparaison des forêts méridionales (Potapov et al., 2017). Ces forêts sont toutefois elles aussi menacées par les activités humaines et leurs surfaces se réduisent rapidement. De nombreuses espèces d’oiseaux dépendant des vieilles forêts et sont donc vulnérables face à la perte croissante de leurs habitats (Drapeau et al., 2003; Ram et al., 2017; Tremblay et al., 2018).

La richesse écologique des vieilles forêts provient en grande partie de l’importante diversité de structures et d’habitats que l’on y trouve (Martin et al., 2022; Wirth et al., 2009). Cette diversité interne est façonnée par l’impact des perturbations secondaires (c’est-à-dire les perturbations de sévérité faible à modérée ne réinitiant pas la succession forestière), qui varient spatialement en nature, sévérité et redondance (Martin et al., 2020; Meigs et al., 2017; Mikoláš et al., 2021). Au sein d’un même massif catégorisé comme « vieilles forêts », on peut donc y trouver une grande hétérogénéité de peuplements aux caractéristiques structurelles et aux habitats spécifiques (Kozák et al., 2021; Martin et al., 2021a, 2021c). Cela implique que les enjeux de conservation liés aux vieilles forêts nécessitent de maintenir des surfaces suffisantes de vieilles forêts aux caractéristiques représentatives des paysages préindustriels. Les objectifs actuels de conservation de vieilles forêts se basent essentiellement sur l’utilisation de seuils d’âge permettant de d’identifier les vieilles forêts, par exemple 80 ou 100 ans pour les forêts boréales du Québec (MFFP, 2016). Les vieilles forêts sont dans ce contexte considérées comme un ensemble relativement homogène, où l’on attribue un rôle écologique équivalent à tous les peuplements. Or, il a été démontré que les activités humaines, et notamment l’aménagement forestier, se concentrent majoritairement sur les vieilles forêts de forte valeur économique. Les peuplements peu productifs, récemment perturbés ou situés dans des conditions peu accessibles sont alors sur-représentées dans les vieilles forêts résiduelles (Lõhmus et al., 2004; Martin et al., 2021b; Price et al., 2021). Il y a donc un risque à ce que des habitats spécifiques soient perdus même si les objectifs de surfaces de vieilles forêts minimales à conserver sont atteints.

Le lien entre la diversité interne des vieilles forêts et leur utilisation par l’avifaune est toutefois encore peu connu. En général, les vieilles forêts ont été étudiées comme un ensemble homogène se définissant en comparaison des forêts plus jeunes ou aménagées (Martin et al., 2022; Wirth et al., 2009). Les questions liées à la diversité interne des vieilles forêts et à son impact sur les habitats fournis a toutefois trouvé un intérêt croissant au  cours des dernières années (Kozák et al., 2021; Martin et al., 2022; Mikoláš et al., 2021).  Martin et al. (2021c) ont par exemple démontré qu’au sein de forêts boréales dont l’âge est supérieur à 90 ans, on retrouve des structures distinctes de vieilles forêts pour lesquelles le pic à dos noir (Picoides arcticus) montre une préférence pour son alimentation. D’autres espèces d’oiseaux montrent quant à elle une préférence marquée pour les forêts dont l’âge dépasse plusieurs siècles (Drapeau et al., 2003).

Dans ce contexte, il est nécessaire de mieux comprendre de quelle manière l’avifaune boréale utilise certaines structures ou certains éléments structuraux spécifiques, tels les chicots ou les arbres porteurs de dendromicrohabitats, au sein des massifs de vieilles forêts. L’obtention de ces connaissances permettrait non-seulement d’affiner les objectifs de conservation des vieilles forêts, mais aussi de développer des axes de gestion et de restauration pertinents permettant de favoriser les attributs de vieilles forêts les plus intéressant au sein des forêts aménagées.

Objectifs

L’objectif général du projet est (i) de déterminer si la diversité interne des vieilles forêts boréales mixtes, en termes de structure, de composition et d’habitats, influe sur la présence des espèces d’oiseaux boréaux spécifiques et, le cas échant, (ii) de déterminer quels attributs de vieilles forêts influencent le plus la composition des communautés d’oiseaux.

Méthodologie

Territoire d’étude :
La localisation de quarante placettes d’études a été déterminée au sein des vieilles forêts du Parc National des Monts-Valin, Québec. Ce territoire a été choisie en raison de la présence de larges massifs continus de vieilles forêts autour d’un territoire sinon fortement modifié par les activités humaines. La majeure partie des forêts du Parc se situent dans le domaine bioclimatique de la sapinière à bouleau blanc (Abies balsamea – Betula papyrifera), où sont considérés par la province du Québec comme vieilles forêts toutes les forêts de plus de 80 ans ([MFFP] Ministère des Forêts de la Faune et des Parcs, 2016). Afin de déterminer l’emplacement des placettes, nous avons utilisé des cartes de feux récents (1970-2018) et anciens (1890-1970) ainsi que les données des inventaires forestiers décennaux de la province du Québec pour identifier les vieilles forêts en transition (brûlées en 1920, non-perturbées par les activités humaines depuis) et les vieilles forêts avancées (non-brûlées depuis au moins 1890 et aucune information de coupe forestière). La moitié des placettes (20 placettes) ont été attribuées pour chaque stade de vieilles forêts (en transition et avancées) et, dans chaque cas, les 20 placettes ont été distribuées dans trois blocs, préalablement identifiés en fonction (i) de leur accessibilité (présence d’un chemin, praticabilité du territoire dans le cas de conditions montagneuses) et (ii) de leur distance par rapport aux autres blocs (au minimum 1km entre les placettes de deux blocs différents). Chaque placette a ensuite été située à 250m du bord du chemin ou de la route en suivant une direction cardinale, afin de limiter le dérangement pouvant être causés par des véhicules, et chaque placette d’un même bloc est située à 500m de la suivante, permettant de s’assurer de l’absence de chevauchement entre les sons captés par deux enregistreurs ainsi que de la présence de communauté d’oiseaux distinctes.

Placettes terrain :
Pour déterminer le lien entre attributs structuraux des vieilles forêts et communautés d’oiseaux, des inventaires de terrain sont réalisés dans chaque placette lors de la saison estivale. Ceux-ci se basent sur la méthodologie d’inventaire des attributs de vieilles forêts définie par Martin et al. (2018) et Martin et al. (2021a). Elle consiste en la réalisation d’une placette principale carrée de 400m2, dont les contours forment 4 transects de 20m, et contenant en son sein deux placettes de 25m2 à deux extrémités opposées déterminées de manière aléatoire. Au sein de la placette de 400m2 sont inventoriés tous les arbres vivants ou morts de diamètre à hauteur de poitrine [DHP] ≥ 9cm. Les informations recueillies pour chaque arbre sont l’espèce, le DHP, l’étage (dominant, codominant, intermédiaire, opprimé, mort), la vigueur (pour les arbres vivants : vigoureux ou sénescent; pour les arbres morts :  stade dégradation suivant la typologie de Angers et al. (2005)) ainsi que la présence de dendromicrohabitats (par ex. cavités, fentes, écorce décollée) suivant la typologie de Larrieu et al. (2018). Les transects de 40m visent quant à eux à inventorier les débris ligneux au sol. Tout débris intersectant le transect est comptabilisé, et sont enregistrés son diamètre à l’interception du transect, l’espèce (si possible) ainsi que le stade de dégradation suivant la typologie de Angers et al. (2005). Enfin, les deux placettes de 25m2 servent à inventorier les gaules (DHP<9cm et hauteur>1.3m), où l’espèce ainsi que le DHP sont enregistrés pour chaque gaule. Le centre de la placette est identifié à l’aide d’un GPS de précision (erreur <1m), afin de pouvoir déterminer les caractéristiques de la canopée (proportion de trouées, rugosité) à l’aide des modèles de hauteur de canopée LiDAR fournis par le Ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs du Québec (MFFP, 2020). Les différentes données ainsi échantillonnées dans chaque placette permettent de donner un descriptif détaillé des caractéristiques structurelles, de la composition ainsi que des habitats (notamment bois mort et dendromicrohabitats) observés à l’emplacement de la placette.

Inventaires ornithologiques :
Afin d’inventorier les communautés d’oiseaux présentes dans ces placettes, vingt enregistreurs BAR-LT Bioacoustic Recorder (Frontier Labs) sont placés dans la moitié des placettes de chaque bloc au début des deux premières semaines juin, puis déplacés pour les deux dernières semaines de juin sur l’autre moitié des placettes. A chaque étape, leurs enregistreurs sont distribués équitablement entre chaque bloc. Chaque appareil est placé sur un arbre propice à l’enregistrement, à environ 2m du sol, face au nord et horizontalement au sol. Les périodes d’enregistrement seront programmées entre 1h avant et 2,5h après le lever du soleil, puis entre 30 minutes avant et 1h après le coucher du soleil de façon continue. Une fois les enregistrements terminés, les oiseaux seront identifiés sur la plateforme WildTrax (2021), dans six sous-échantillons de 3 minutes pour chaque placette. Les données obtenues seront représentées sur une matrice d’abondance des espèces retrouvées dans chaque placette.

Atteinte des objectifs du projets
Les données ornithologiques préalablement obtenues seront mises en relation afin de répondre à nos objectifs. Ainsi, pour l’objectif (i) (« déterminer si la diversité interne des vieilles forêts boréales mixtes, en termes de structure, de composition et d’habitats, influe sur la présence des espèces d’oiseaux boréaux »), nous identifierons en premier lieu si certains types de vieilles forêts sont définis par des caractéristiques structurelles similaires peuvent être identifiées à l’aide d’analyse de groupement hiérarchiques. Les données d’abondance des différentes espèces d’oiseaux identifiées seront transformées en une matrice de distance de Bray-Curtis, et nous utiliserons des analyses multivariées permutationnelles de la variance (Anderson, 2001) pour déterminer si l’abondance d’espèces d’oiseaux varient selon le stade de succession (forêt ancienne en transition et avancée) ou le type de vieille forêt préalablement déterminé. Une procédure de répartition des pourcentages de similitude (Simper) sera appliquée pour identifier les espèces les plus influentes dans la discrimination différentes stades de successions ou types de vieilles forêts.

Pour répondre à l’objectif (ii) (« déterminer quels attributs de vieilles forêts influencent le plus la composition des communautés d’oiseaux » ) Une analyse de redondance (nMDS) sera utilisée, se basant sur une matrice de distance de Bray-Curtis pour les données d’abondance d’oiseaux et une matrice de distance euclidienne pour les attributs structuraux. La procédure du meilleur sous-échantillon de variables environnementales (Bioenv) (Clarke and Ainsworth, 1993) sera alors utilisée pour déterminer quels attributs structuraux spécifiques expliquent le plus les changements de composition en espèce d’oiseaux.

Retombées escomptées

Le stage d’Ines Diamant s’inscrit dans la réalisation d’une Maîtrise en Ressources Renouvelables à l’UQAC. Un court rapport sera réalisé par l’étudiante à l’issue du stage afin de résumer le contexte dans lequel s’inscrit ce stage, décrire la méthodologie utilisée et présenter une synthèse des données obtenues sous la forme de tableaux ou d’analyses préliminaires. Celui-ci servira de base à la réalisation à terme du mémoire de maîtrise. Ce mémoire sera rédigé sous la forme d’une publication scientifique, afin de permettre la soumission de l’étude dans une revue révisée par les pairs (par exemple Forest Ecology and Management, Forest Ecosystems) à la suite du dépôt de mémoire. À terme de la maîtrise de l’étudiante pourrait servir à la production d’un document de vulgarisation pour le Parc des Monts-Valin en vue de permettre à l’organisme de tirer profit de la recherche pour parfaire ses programmes de conservation et d’éducation. Nous espérons donc pouvoir fournir à terme trois livrables (rapport, mémoire et publication révisée par les pairs), en plus de ceux exigés par le programme Mitacs. En raison du temps nécessaire à la réalisation de ces livrables, ainsi que des incertitudes liées au processus de publication scientifique, ils ne pourront toutefois pas être fournis immédiatement à la fin de l’unité de stage.

Applicabilité

Voir section "Retombé"

Livrables

Voir section "Retombé"

Avancement

En cours

Organismes subventionnaires

 SÉPAQ, MITACS

Financement annuel

Terminé

Durée

2021-2023

Dernière mise à jour : 2023-03-10 13:46:20