Responsable
Collaborateurs
Osvaldo Valeria, Pierre Drapeau, Nicole J. Fenton, Yan Boucher, Martin Barrette, Patricia Raymond
Problématique
La structure d’âge des paysages boréaux préindustriels du Québec était dominée par les forêts anciennes en raison d’intervalles de retour des perturbations relativement longs (>150 ans) [1]. Ces forêts offrent des habitats et des services écosystémiques distincts des forêts plus jeunes ou aménagées, tels un grand volume de bois mort à différents stades de décomposition ou un important stock de carbone souterrain [2].
Depuis le début de l’ère industrielle, les habitats et services écosystémiques fournis par les forêts anciennes boréales sont en forte raréfaction en raison des activités humaines, notamment l’aménagement forestier. Au sein des paysages boréaux septentrionaux, on a ainsi observé une régression abrupte des surfaces de forêts anciennes ainsi qu’une importante fragmentation des massifs résiduels [3]. Dans un contexte d’aménagement forestier écosystémique, maintenir des surfaces suffisantes et fonctionnelles de forêts anciennes et restaurer leurs attributs au sein des forêts aménagées sont donc des enjeux prioritaires.
Selon les normes d’aménagement forestier du Québec, les forêts anciennes boréales sont définies suivant un seuil d’âge (>80 ans dans la sapinière à bouleau blanc et >100 ans dans la pessière mousse), et leur diversité s’évalue selon leur végétation potentielle [1]. Plusieurs recherches ont toutefois démontré que des forêts anciennes – au sens de ces seuils d’âge – situées dans des conditions environnementales similaires peuvent montrer d’importantes différences d’habitats et de biodiversité [4,5]. Cette hétérogénéité s’explique en grande partie par différents historiques de perturbations naturelles (par ex. temps depuis le dernier feu, date et sévérité de la dernière épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette [Choristoneura fumiferana Clem.]). Cela implique que les critères d’âge et de végétation potentiels utilisés actuellement sont insuffisants pour offrir un portrait représentatif des habitats des forêts anciennes. Cet enjeu concerne notamment les habitats vitaux pour une fraction de la biodiversité cryptique difficile à suivre et inventorier, mais jouant un rôle crucial dans le fonctionnement des écosystèmes forestiers (insectes, bryophytes, lichens, champignons, bactéries).
Il a été observé que les coupes forestières s’effectuent principalement sur les forêts anciennes comportant le plus fort volume en bois marchand, à l’opposé des feux de forêt qui brûlent généralement les forêts les moins productives [6]. Les forêts anciennes résiduelles des paysages aménagés risquent donc de ne pas être représentatives de celles qui composaient les paysages préindustriels. En raison des vastes surfaces et de l’isolement des forêts boréales, ainsi que du niveau de détail limité des inventaires photographiques aériens, les données sur les habitats et la biodiversité des forêts anciennes boréales du Québec manquent grandement de précision. La combinaison d’une pression des activités humaines sur des types de forêts anciennes spécifiques et les faibles connaissances des habitats des espèces cryptiques des forêts boréales peut donc mener à une perte insoupçonnée d’espèces et de fonctions écologiques.
Récemment Martin et Valeria [7] ont démontré le potentiel de la technologie LiDAR aéroporté pour fournir une caractérisation inédite de la diversité de structure et d’historique des perturbations au sein des forêts anciennes boréales. Cette technologie s’est aussi montrée prometteuse pour prédire l’abondance et la diversité du bois mort ou des microhabitats des arbres (par ex. cavités, fentes, épiphytes) dans les forêts tempérées ou méditerranéennes [8,9], mais aucune recherche de ce type n’a été réalisée dans les forêts boréales septentrionales du Québec. Pour établir une planification forestière capable de maintenir la diversité d’habitats qui caractérisent les forêts anciennes boréales dans les territoires aménagés, il est par conséquent avantageux d’explorer la capacité de LiDAR aéroporté à prédire la qualité d’habitat de ces forêts sur de vastes territoires.
Objectifs
Ce projet, avant application de l’effet levier, comporte deux objectifs principaux, dont un divisé en deux sous objectifs :
- Objectif 1 [Post-doctorant1, années 1-3] : Réaliser une cartographie prédictive à l’aide de données LiDAR de la diversité de structures d’âge au sein des forêts anciennes, ainsi que du risque de futures perturbations naturelles et anthropiques des forêts anciennes boréales de la pessière à mousse du Québec
- Objectif 2 [MSc1 et MSc2, années 2-3] : Développer des modèles permettant de prédire la richesse et la diversité des habitats d’espèces cryptiques des forêts anciennes boréales, ici le bois mort (debout ou au sol) et les microhabitats des arbres à l’aide des données LiDAR aéroporté. Ce projet sera séparé en deux sous-objectif, un modèle étant calibré pour la sapinière à bouleau blanc (Sous-objectif 2.1, MSc1) et un second pour la pessière à mousse (Sous objectif 2.2, MSc2).
Méthodologie
Le territoire d’étude de ce projet regroupera les domaines bioclimatiques de la pessière à mousse (Objectif 1 et Sous-objectif 2.1) et de la sapinière à bouleau blanc (Sous-objectif 2.2). Nous mettrons à profit les données LiDAR aéroporté échantillonnées par le MFFP dans les paysages de la forêt commerciale. Comme données d’entraînement et de validation terrain, nous utiliserons un réseau de plus de 200 forêts anciennes boréales pour lesquelles l’historique des perturbations naturelles au cours des derniers siècles est connue, établies lors de précédents projets de l’UQAC et de l’UQAT (placettes UQAT-UQAC, par ex. [7,10]). Nous utiliserons aussi les données des Écosystèmes Forestiers Exceptionnels (EFE) classés comme « anciens » ainsi que les cartes de feux anciens (période 1890-1975) situés dans les domaines bioclimatiques étudiés.
Objectif 1
Pour cet objectif, nous utiliserons le modèle défini par Martin et Valeria [7] pour discriminer les forêts anciennes de début de succession (environ 100 ans) de celles de fin de succession (>200 ans) dans la pessière à mousse à l’aide des modèles de hauteur de canopée LiDAR du MFFP. Les forêts anciennes seront divisées en cellules de 1 ha et leur stade de succession sera prédit. Pour valider le modèle, nous sélectionnerons les cellules couvrant les forêts anciennes du réseau UQAT-UQAC ainsi qu’un échantillon aléatoire de cellules sélectionnées au sein des EFE et des polygones de feux anciens. Nous comparerons alors la prédiction de succession avec le temps depuis feu et la structure d’âge de nos sites de référence.
Afin d’estimer la vulnérabilité des forêts anciennes, nous établirons un réseau de placette virtuelle au sein du territoire d’étude, également réparties entre placettes perturbées par des feux ou des coupes forestières entre 2000 et 2020, et placettes jamais perturbées depuis 1975. Nous extrairons pour chaque placette des métriques environnementales (par ex. topographie, distance au plan d’eau et à la route la plus proche). Ces données seront utilisées pour établir un modèle de risque proportionnel déterminant la probabilité pour une placette virtuelle d’être perturbée. Un sous-échantillon des cellules de forêts ancienne sera ensuite sélectionné, pour lesquelles nous extrairons les mêmes variables environnementales. La probabilité de perturbation sera calculée afin d’identifier les types de forêts anciennes les plus à risque d’être perturbés dans les prochaines décennies.
Objectif 2
Pour cet objectif, nous sélectionnerons au minimum 50 forêts définies par différents temps depuis le dernier feu au sein du réseau de forêts anciennes UQAC-UQAT situées dans la pessière à mousse (Sous-objectif 2.2) ou dans la Forêt d’Enseignement de Recherche de la Forêt du Lac Duparquet, situé dans la sapinière à bouleau blanc (Sous-objectif 2.1). Pour chacune de ces placettes, nous établirons une placette rectangulaire de 400 m2 dont les contours seront géolocalisés à l’aide d’un GPS de précision (erreur de localisation < 30 cm). Au sein de chaque placette, nous réaliserons un inventaire des microhabitats des arbres au sein des tiges marchandes (diamètre à hauteur de poitrine [DHP] > 9 cm) vivantes et mortes en suivant la typologie internationale de Larrieu et al. [11]. L’inventaire du bois mort et des stades de dégradation sera réalisé au sein de la placette pour les chicots, et suivant 4 transects de 20 m constituant les bordures de la placette pour les débris ligneux (diamètre à intersection > 9 cm) [5]. Des indices LiDAR décrivant la structure verticale et horizontale de la forêt seront ensuite extraits pour chaque placette [7]. Nous définirons alors des modèles visant à prédire les caractéristiques d’habitat (par ex. diversité des microhabitats des arbres, volume de débris ligneux) avec les indices LiDAR à l’aide de modèles d’apprentissage automatique, tels les arbres de régression aléatoire.
Retombées escomptées
Pour l’Objectif 1, nous fournirons une cartographie inédite de la diversité des forêts anciennes du Québec boréal, disponible publiquement (par ex. sur Dryad). Nous identifierions par exemple avec précision les derniers massifs de forêts anciennes très âgées (> 200 ans; livrable 1.1), qui hébergent des habitats très différents des forêts anciennes de début de succession (100-150 ans; [5]) Les résultats de cette étude seront publiés dans le journal de référence Remote Sensing of Environment (livrable 1.2). Pour l’évaluation du risque de perturbation des forêts anciennes, nous nous attendons à ce que les forêts anciennes de début de succession ont plus de chances d’être récoltées que celles de fin de succession en raison d’un plus grand volume de bois marchand [6]. Des facteurs environnementaux, notamment liés à l’accessibilité (pente, proximité de chemins forestiers majeurs) mitigeront toutefois ces résultats. Par exemple, les forêts anciennes de fin de succession accessibles pourront avoir de plus grande chance d’être récoltées que des forêts de début de succession peu accessibles même si elles ont un plus faible volume marchand [6,7]. La carte de ces niveaux de risque sera elle aussi mise à disposition publiquement (livrable 1.3) et les résultats de cette étude seront publiés dans le journal Landscape Ecology (livrable 1.4). Ces données seront précieuses dans le cadre de la planification forestière. Elles rendront par exemple possible d’estimer dans quelle mesure les nouveaux plans de coupe permettent de limiter les biais de sélection observés au cours des dernières décennies, ou si le risque d’incendie dans les forêts anciennes résiduelles est bien supérieur à celui avant coupe. Les résultats des deux études ainsi que les informations des cartes seront par conséquent synthétisés dans un Avis de Recherche Forestière (livrable 1.5), accompagnée d’une ou plusieurs activités de transfert présentant ces données ainsi que les implications pour l’aménagement forestier (livrable 1.6).
Pour l’Objectif 2, nous produirons des modèles capables de prédire avec précision l’abondance et la diversité des microhabitats des arbres ainsi que la quantité de bois mort (surface terrière pour les chicots, volume pour les débris) au sein des forêts boréales mixtes (Sous-objectif 2.1) et dans les forêts boréales résineuses (Sous-objectif 2.2). Pour la diversité des stades de décomposition du bois mort, nous nous attendons à obtenir des résultats satisfaisants pour les chicots et moins précis pour les débris ligneux. En effet, la diversité des chicots dépend pour beaucoup des caractéristiques des perturbations récentes, laissant des marques visibles dans la canopée, alors qu’une plus grande diversité de facteurs difficiles à contrôler influent sur les débris ligneux [6]. Les résultats de ces modèles seront publiés dans des journaux tels Ecological Indicators ou Forest Ecology and Management (livrables 2.1 et 2.2). Un guide présentant en détail la méthode à suivre pour utiliser ces modèles sera produit (livrables 2.3), et le code ainsi que les données nécessaires seront mis à disposition sur GitHub (livrable 2.4). Des activités de transfert seront réalisées pour présenter les précédents livrables et familiariser les usagers à la méthodologie développée (livrable 2.5).
Applicabilité
Voir la partie "Retombées"
Livrables
Publications prévues
La production d’articles scientifiques dans des revues révisées par les pairs est un important enjeu de formation, expliquant des exigences minimums de publication pour les étudiants et étudiantes. Nous avons donc des exigences minimales de publication pour chaque étudiant et étudiante (maîtrise : 1 article, postdoctorat : 2 articles par an). Ce projet mènera à la publication de 4 articles scientifiques (livrables 1.2, 1.4, 2.1 et 2.2). Tout article sera publié dans des journaux scientifiques de référence en accès-libre pour faciliter sa diffusion (par ex. Remote Sensing of Environment, Ecological Indicators). Nous profiterons aussi de notre collaboration avec des chercheurs et chercheuses de la Direction de la Recherche Forestière pour produire des contenus vulgarisés à destination des praticiens résumant les principaux résultats des différents projets, ainsi que les outils ou données développées. Un avis de recherche forestière (livrable 1.5) ainsi qu’un guide (livrable 2.3) sont ainsi prévus.
Transferts prévus
Nous ferons la promotion de ces recherches par le moyen de conférences nationales ou internationales à destination tant des chercheurs (par ex. Colloque annuel du Centre d’Étude de la Forêt, North American Forest Ecology Workshop) que des gestionnaires et praticiens (Colloque de la chaire UQAM-UQAT en Aménagement forestier durable, Carrefour Forêts 2023 du MFFP). Les exigences minimales de présentations (affiches ou présentations orales) sont de 2 pour les maîtrises et 2 par an (dont une internationale) pour les postdoctorats. Au moins 8 présentations (dont au minimum 2 internationales) seront réalisées dans le cadre du projet proposé.
Pour faciliter le transfert de ces recherches, les jeux de données, cartes et modèles seront mis à disposition en libre accès (livrables 1.1, 1.3 et 2.4). Des guides ou documents de vulgarisation seront créés pour faciliter leur utilisation et diffusion (livrables 1.5, 2.3), accompagnés d’activités de transfert à destination des scientifiques, gestionnaires et usagers de la forêt (livrables 1.6 et 2.5). La réalisation du partenariat avec le MFFP ainsi que les liens étroits entretenus entre les professeurs de l’UQAT et de l’UQAC avec les milieux forestiers régionaux assureront l’efficacité du transfert au sein de la province.
Les principaux résultats et implications de ces recherches seront enfin partagés auprès du grand public par le moyen de communications médiatiques locales et provinciales. Des financements complémentaires seront recherchés pour développer de nouveaux outils de communication scientifique (par ex. réalité virtuelle) en profitant de l’expertise de Maxence Martin sur ce sujet.
Activités d’intégration prévues
Afin d’intégrer les résultats de ces recherches au sein des pratiques forestières courantes, nous travaillerons avec nos collaborateurs et collaboratrices du MFFP pour intégrer les différents livrables (cartes, guides) au sein de Forêt Ouverte ou de Données Québec. Ces plateformes seront un complément aux activités de transfert, car facilitant la diffusion, et par conséquent, l’utilisation de ces données auprès du monde forestier. En tant que principal investigateur du projet, Maxence Martin restera néanmoins à disposition pour réaliser des séances d’informations complémentaires.
Les activités de transferts mises en place faciliteront aussi le réseautage du personnel hautement qualifié formé au cours de ce projet. Cela donnera un accès direct aux organisation gouvernementales ou privées à des employés et employées capables de manipuler ces données et d’assurer leur intégration dans les pratiques d’aménagement.
Avancement
Le projet a été accepté et a démarré
Organismes subventionnaires
MFFP (en évaluation)
Financement annuel
298,150$
Durée
2023-2026