La forêt boréale de l’Est canadien présente un fort potentiel de production ligneuse; l'industrie forestière y réalise des activités importantes de récolte et d'aménagement forestier. Les résineux, notamment les épinettes (Picea spp.) et les pins (Pinus spp.), sont les principales essences commerciales récoltées et utilisées pour le sciage et la pâte à papier. Dans le domaine bioclimatique de la pessière noire à mousses, certaines régions sont caractérisées par une faible productivité dans les sites paludifiés. La paludification est un phénomène naturel par lequel la matière organique s'accumule graduellement sur le sol minéral en absence de feu sévère. Ce phénomène est accéléré par plusieurs facteurs climatiques (climat froid) et édaphiques (imperméabilité du sol, topographie plane, faible drainage). La paludification mène à une baisse de croissance et à des taux de mortalité élevés de la régénération pré-établie due à la mauvaise qualité des substrats organiques surfaciques, souvent gorgés d’eau et pauvres en éléments nutritifs. Le reboisement précédé par une perturbation des horizons organiques, via la préparation mécanique du sol (PMS), a été proposée comme une solution prometteuse pour limiter la paudification et remettre en production les sites paludifiés. Cependant, peu d’informations sont disponibles concernant les conditions sous lesquelles certains traitements sylvicoles peuvent s’avérer efficaces à faciliter la remise en production des sites paludifiés.
La préparation mécanique du sol (PMS) vise à créer des conditions favorables à l’établissement des plants dans des microsites propices afin de maximiser leur chance de survie et leur croissance initiale. En effet, la croissance initiale des plants est déterminée par des variables environnementales à plusieurs échelles, qui incluent le climat régional (température, précipitations et humidité de l’air), les caractéristiques édaphiques à l’échelle du peuplement (drainage, dépôt de surface, pente), et le microenvironnement des plants à l’échelle du microsite (substrat d’établissement, température du substrat, position de mise en terre, épaisseur de l’humus). L’objectif général de cette thèse était d’analyser un ensemble de facteurs environnementaux qui déterminent la survie et la croissance des plants installés sur des sites ayant subi des perturbations sylvicoles à différentes intensités. Pour ce faire, via 3 chapitres, l’analyse s’est réalisée à trois différentes échelles dans la forêt boréale de l’Est canadien, soit à l’échelle régionale, du peuplement et du microsite.
Une caractérisation des microsites et un suivi de croissance de jeunes plants d’épinette noire (hauteur, diamètre) ont été réalisés sur un réseau de 15 placettes disposées aléatoirement sur des sites paludifiés et préparés mécaniquement dans l’Est canadien. Nos résultats ont confirmé que la PMS (scarificateur, herse forestière) était efficace pour établir une cohorte de régénération productive dans les sites paludifiés. Également, à court terme, la PMS permettait un contrôle adéquat des éricacées. Lors des opérations de reboisement, il convient de privilégier les microsites argileux et mélangés (organo-argileux et argileux-humiques) afin de garantir une disponibilité suffisante en eau et en nutriments. Pour assurer une remise en production efficace des sites paludifiés, il est important de distinguer préalablement les zones faiblement-modérément paludifiées des zones fortement paludifiées; ceci permettra d’utiliser les traitements de PMS (scarificateur, herse forestière) adéquats pour chaque zone et d’exposer davantage de microsites propices à l’établissement des plants.
Dans une expérience de six mois sous serre (milieu contrôlé : accès illimité en eau, températures favorables), nous avons déterminé les effets des substrats extraits de sites paludifiés, tels que : organiques et mélanges organiques, minéraux et mélanges organo-minéraux sur la croissance et le développement racinaire de 130 plants d’épinette noire pendant une saison de croissance. Les résultats ont montré que les substrats ont eu un effet significatif sur la croissance des plants et leurs concentrations foliaires en nutriments (N, P, K). L’accroissement en hauteur et en diamètre était supérieur dans les substrats argileux et organique-mésique respectivement. Nous n’avons pas noté d’effet significatif des substrats sur l’accroissement de la biomasse totale et sur la biomasse racinaire finale. Les concentrations foliaires en nutriments (N, P, K) étaient relativement élevées dans les plants établis sur les substrats mésiques et relativement faibles dans ceux établis sur les substrats argileux. De ce fait, à court terme, pour garantir le succès d’établissement des plants, nous recommandons l’utilisation de techniques de PMS aptes à exposer davantage de microsites argileux et organiques-mésiques sur les sites présentant un accès limité et illimité en eau dans le sol, respectivement.
Dans le but de déterminer l’influence des variables climatiques (échelle régionale), édaphiques (échelle du peuplement), locales (échelle du microsite) et les conditions de reboisements sur le substrat d’établissement et la croissance initiale des plants d’épinette noire (Picea mariana (Mill.) B.S.P) et de pin gris (Pinus banksiana Lamb.), un suivi a été réalisé sur 29 parterres de coupe reboisés (5 placettes/parterre) par la Direction de la recherche Forestière (DRF, Québec), et répartis sur un gradient climatique (précipitations et température) d’est en ouest, dans les domaines de la sapinière et de la pessière à mousse de l’Est canadien. Les résultats ont montré que les substrats d’établissement de types minéraux, organo- minéraux et organiques avaient des effets mitigés sur la croissance des plants selon l’influence et l’interaction des variables climatiques régionales, édaphiques à l’échelle du peuplement et locales à l’échelle du microsite. Cette étude a permis, à terme, de mieux comprendre les conditions d’établissement de la régénération en forêt paludifiée et les interactions existantes entre la croissance initiale des plants et les conditions environnementales à différentes échelles (régionale, peuplement et microsite) suite à leur mise en terre, et ce, afin d’assurer le maintien de la productivité des sites forestiers récoltés. Les recommandations sylvicoles de cette étude permettront aux aménagistes forestiers d’adapter les pratiques de reboisement aux conditions climatiques régionales dans l’est canadien, notamment dans le contexte des changements climatiques.
Ce travail a permis de mieux comprendre les conditions d’établissement de la régénération en forêt boréale de l’Est canadien. L’aménagement des sites reboisés dans les différentes régions bioclimatiques de l’Est canadien, dépend des caractéristiques édaphiques à l’échelle du peuplement et locales (types de substrats d’établissement ou de mise en terre) à l’échelle du microsite. La PMS est un traitement sylvicole que les aménagistes forestiers pourraient considérer dans l'aménagement des sites boréaux, notamment les sites paludifiés. Après la PMS, le choix des microsites et des substrats propices à l’établissement lors des opérations de reboisement est indispensable pour garantir une meilleure croissance et survie des plants dans les sites boréaux aménagés.