La forêt boréale canadienne a une importance écologique et économique considérable. Toutefois, les forêts d'épinettes noires situées dans la ceinture d'argile, une région boréale de l'est de l'Amérique du Nord, sont sujettes à la paludification. Ce phénomène est un processus naturel par lequel une couche organique s'accumule sur le sol forestier conduisant à une diminution importante de la productivité de ces forêts. Théoriquement, il existe deux types de paludification, à savoir la paludification permanente et réversible. La paludification permanente se produit dans des endroits où les conditions d'humidité du sol sont élevées (ex., reliefs plats, dépressions topographiques); alors que la paludification réversible intervient dans des sites à pente faible ou moyennement forte au fil du temps en réponse à une perturbation telle qu'un feu peu sévère. L'épaisseur de la couche organique (ECO) et la topographie constituent des paramètres clefs de la présence de la paludification dans cette région et y affectent négativement la productivité. La recherche proposée dans cette thèse consiste à approfondir la compréhension et la détection du phénomène de paludification dans les forêts d'épinette noire dans une perspective de maintien ou d'accroissement de la productivité des arbres. Cette thèse a pour objectif principal de déterminer et de sélectionner les variables permanentes des site permettant d'expliquer les écarts de productivité de la pessière à épinette noire observés dans la ceinture d'argile à l'aide des méthodes à haute résolution et des données recueillies sur le terrain. L'expression de ces variables a été ensuite utilisée pour prédire la productivité actuelle et potentielle des sites soumis à la paludification. Les objectifs spécifiques de cette thèse étaient de (1) détecter et identifier d'une manière continue l'interface sol minéral/couche organique afin de cartographier la topographie du sol minéral à l'échelle des sites paludifiés; (2) étudier d'une façon quantitative les relations entre l'ECO et la topographie (au niveau du sol minéral et de la surface) afin de caractériser ces relations à l'échelle du paysage, notamment la distribution et la variabilité spatiale de l'ECO; (3) identifier les variables topographiques permettant de distinguer et de cartographier la paludification réversible et la paludification permanente à l'échelle du paysage; et (4) évaluer l'effet de l'ECO et des variables topographiques, exprimées à différentes résolutions spatiales, sur la productivité forestière des forêts paludifiées de la ceinture d'argile. Le but ultime est d'améliorer notre compréhension de la façon dont ces variables ainsi que leurs résolutions influencent la productivité des arbres dans les forêts d'épinette noire.
Les résultats du premier chapitre de la thèse ont démontré que la méthode géophysique géoradar, ayant une bonne corrélation de ses résultats avec les données du terrain (r = 0,93; P < 0,001), a permis d'obtenir une cartographie précise, continue et fiable de l'interface couche organique/sol minéral dans des sites faiblement à modérément paludifiés. Cependant, en dépit de son incapacité à cartographier l'interface couche organique/sol minéral dans les sites hautement paludifiés, le recours au géoradar s'est révélé pertinent dans la mise en évidence de l'interface horizon fibrique/couche organique et de sa continuité spatiale. Cela rend le géoradar particulièrement intéressant dans la détection des niveaux d'entourbement constituant ainsi une méthode de détection indirecte prometteuse pour l'aménagement des forêts paludifiées.
Le deuxième objectif a été abordé dans deux différents chapitres (II et III) à l'aide d'une approche quantitative de modélisation de l'ECO par arbre de régression. Différentes variables topographiques (élévation, pente, exposition, indice topographique d'humidité (TWI), courbure totale, courbure transversale, et courbure horizontale) ont été utilisées dans les modèles sélectionnés des deux chapitres. D'une façon générale, nous avons démontré que les topographies de surface et du sol minéral influencent l'accumulation de la couche organique à l'échelle du paysage dans la ceinture d'argile. Les résultats du deuxième chapitre ont permis de délimiter les principaux patrons de l'ECO et d'élucider trois relations spatiales entre l'ECO et les variables explicatives: (i) les zones avec une couche organique épaisse (62 cm) avaient des pentes douces (≤ 1,8%); (ii) les zones avec pentes plus raides (> 3,2 %) ont été associées à une couche organique peu profonde (27 cm); et (iii) les résultats les plus significatifs ont été obtenus avec des résolutions 10 et 20 m en comparaison au 1 et 5 m. Le troisième chapitre a permis de mettre en évidence les différentes relations entre la topographie du sol minéral et l'ECO à l'échelle du paysage. La construction d'un modèle numérique d'élévation au niveau du sol minéral à l'échelle du paysage est un élément central de notre démarche. Les modelés développés nous permettent d'affirmer que : (i) la pente du sol minéral, la composition du sol minéral (argile, till et régolithe), le TWI et l'exposition sont les quatre principales variables influençant l'accumulation de la couche organique; (ii) les valeurs seuils de pente du sol minéral > 3,5% et ≤ 2% permettent respectivement de distinguer les zones les plus prometteuses et les plus vulnérables pour l'aménagement forestier; (iii) les zones avec une exposition nord et est étaient associées à une couche organique plus profonde par rapport à celles exposées vers le sud et l'ouest; et (iv) la distinction entre les zones paludifiées et non paludifiées sur la base d'une valeur seuil de la pente du sol minéral de l'ordre de 3,5% constitue un des apports majeurs de cette étude.
Afin de répondre au troisième objectif, une approche semi-automatique de subdivision sous SIG du territoire à l'étude en des entités du paysage distinctes a été réalisée en combinant des données topographiques, notamment l'indice topographique de position (TPI), l'indice topographique d'humidité (TWI) ainsi que la pente de surface. Cette approche s'est révélée efficace, car elle a permis de délimiter des entités possédant des caractéristiques géomorphologiques semblables, notamment en terme de susceptibilité à l'accumulation de la couche organique, et par conséquent ont été assignées à l'un ou l'autre type de paludification, soit réversible ou permanente. Un apport majeur de cette approche semi-automatisée est la mise en évidence de deux sous-entités statistiquement différentes (le test HSD de Tukey, P < 0,001), à savoir des dépressions ouvertes préférentiellement drainées (paludification réversible) et des dépressions fermées potentiellement engorgées (paludification permanente) du fait de leurs positions topographiques et conditions d'humidité. Cela rend l'outil développé particulièrement utile pour la mise en oeuvre des stratégies d'aménagement durable dans les forêts paludifiées.
Pour atteindre le quatrième objectif, deux modèles ont été explorés pour la modélisation de la productivité (exprimée par l'indice de qualité de station (IQS) dans notre cas) en utilisant une approche par arbre de régression. Le premier modèle contient les variables topographiques et l'ECO, alors que le deuxième modèle inclut seulement les variables topographiques issues des données LiDAR. Les résultats de cette modélisation ont démontré que l'ECO, l'exposition et la pente sont les trois variables les plus importantes pour expliquer la productivité forestière à l'échelle du paysage; et pour déterminer des seuils d'ECO et des variables topographiques qui permettent de caractériser, à la fois, des zones productives et improductives. En effet, les zones avec une productivité élevée étaient associées à une couche organique peu profonde (< 35 cm) et à des pentes orientées sud-ouest et dont la valeur est supérieure à 2,2%, favorisant ainsi une plus forte croissance des arbres; en revanche, les zones avec une faible productivité avaient une couche organique très profonde (> 85 cm), favorisant l'invasion de mousses et de sphaignes. Du point de vue de l'échelle (résolutions), le premier modèle semble relativement indépendant de l'échelle, alors que la réponse du deuxième modèle augmentait significativement avec la taille du pixel. Ces résultats pourraient donc être appliqués à des échelles opérationnelles et là où des informations sur l'ECO sont disponibles afin de prédire la productivité. Des cartes thématiques prédictives de la distribution spatiale de la productivité ont été réalisées avec nos deux modèles.
Les résultats de cette thèse ont permis d'approfondir les connaissances sur les variables permettant d'expliquer les écarts de productivité dans la pessière à épinette noire ainsi que sur l'importance des variables topographiques dans la modélisation de l'ECO et la productivité à l'échelle du paysage. De plus, cette étude a permis de caractériser la distribution spatiale des deux types de paludification (permanente et réversible) à l'échelle du paysage. Quoique cette étude s'intéresse plus particulièrement à la pessière à épinette noire, les connaissances acquises pourraient être applicables à d'autres territoires paludifiés de la forêt boréale.