Responsable
Fabio Gennaretti, Miguel Montoro Girona, Guillaume Grosbois, Christoforos Pappas
Étudiants
Problématique
La prise en compte des préoccupations des citoyens et des utilisateurs de la forêt dans la gestion forestière est essentielle pour bâtir des stratégies d’aménagement couronnées de succès (Boukherroub et al., 2018). Un des plus grands défis de notre société et de la foresterie en particulier est l’adaptation aux changements climatiques. Nous vivons dans la forêt boréale, une région du monde qui sera particulièrement touchée par les changements de température et du régime de précipitation (Wang et al., 2014). Il est prévu dans cette région, une augmentation de température annuelle moyenne de 3.3 à 6.3°C d'ici la fin du siècle, selon Environnement et Changement climatique Canada. Pour cela, la résilience et la résistance des écosystèmes forestiers à ces changements est une problématique clé pour la MRC-Abitibi Ouest située au cœur de la forêt boréale et représente une source d'inquiétude pour ses citoyens. Les questions suivantes méritent donc des réponses claires. Est-ce que les forêts de résineux typiques de notre région seront capables de tolérer ces changements sans réduction de l’ensemble des services qu’elles peuvent offrir (bois, stockage de carbone, refuge pour la biodiversité)? Est-ce que les feuillus comme le bouleau blanc et le peuplier faux-tremble seront favorisés par ces nouvelles conditions environnementales par rapport aux résineux? Et finalement, assisterons-nous à des changements écosystémiques? En effet, il a été démontré que les changements climatiques conjointement aux perturbations peuvent déclencher ce type de transitions écosystémiques (Brice et al., 2020).
Très récemment, nous avons travaillé au développement d’un nouveau concept de foresterie "Smart" ou "Intelligente" (Pappas et al., 2022). Ce concept prévoit un changement de paradigme dans la gestion des forêts qui prend simultanément en compte la rentabilité économique, l’adaptation aux changements climatiques, la contribution du secteur forestier à la diminution des gaz à effet de serre, et la dimension sociale (forêt multi-usages et implication des citoyens). La première étape d’une foresterie "Smart" consiste à évaluer les systèmes forestiers avec des approches innovantes pour comprendre la réponse des arbres et des écosystèmes face à la variabilité environnementale (Pappas et al., 2022). Les impacts des changements climatiques actuels sur la croissance forestière seront en partie liés à des évènements météorologiques extrêmes mais de courte durée, comme les sécheresses estivales ou les gelées printanières ou automnales (Bond-Lamberty et al., 2014). Afin d’évaluer ces impacts nous avons besoin de techniques d’analyse qui sont basées sur des suivis robustes obtenus avec des capteurs capables de monitorer la croissance et les flux de carbone des arbres et des forêts à haute résolution temporelle (c’est-à-dire en temps réel; Kljun et al., 2006). Ces données sont nécessaires pour améliorer la prévisibilité de l'impact du changement climatique sur la croissance des forêts (Reichstein et al., 2007). Ces données ont aussi un grand potentiel d’enseignement et de vulgarisation scientifique aux citoyens car nous pouvons faire visualiser la croissance des arbres en temps réel via des plateformes web.
La MRC Abitibi Ouest est immergée dans un vaste territoire forestier. Elle est délégataire et gestionnaire d’une forêt de proximité de 42 500 hectares. Dans le territoire de la MRC nous retrouvons également la Forêt d’Enseignement et de Recherche du Lac Duparquet (FERLD). Les citoyens de la MRC sont donc particulièrement sensibles à la gestion forestière durable et à la réponse des forêts aux changements climatiques. Pour cette raison, ces thèmes de recherche sont importants pour deux axes de développement identifiés par la MRC: agir pour offrir aux citoyens un cadre de vie sain et agir pour assurer la maximisation du plan de développement durable et des ressources disponibles. Notre projet dotera la MRC d’Abitibi-Ouest d’une forêt expérimentale intelligente (Forêt "AbitibiOuestSmart"). Ce projet permettra de mieux comprendre les écosystèmes forestiers en Abitibi Ouest et leur résilience et adaptation aux changements climatiques. Il permettra également l’implication des citoyens grâce au développement d’une plateforme web de communication et enseignement. Cette implication est une étape clé pour développer une foresterie "Smart".
Objectifs
- Évaluer comment la variabilité météorologique et édaphique influencent la croissance et le statut hydrique des arbres en temps réel.
- Analyser en temps réel le bilan carbone et le cycle de l’eau d’écosystèmes forestiers de la MRC.
Méthodologie
Dans ce projet, nous nous intéressons à quatre essences d’importance en forêt boréale, soient le pin gris (Pinus banksiana Lamb.), l’épinette noire (Picea mariana Mill. BSP), le peuplier faux-tremble (Populus tremuloides Michx.) et le bouleau blanc (Betula papyrifera Marshall). Ce sont des essences représentatives de la forêt boréale abitibienne et qui jouent un rôle économique majeur pour l’industrie forestière régionale.
Pour atteindre l’objectif 1 de ce projet nous avons déjà établi en 2021 un dispositif expérimental au nord d’Authier Nord ("SoilMixDisp") qui comprend deux sites d’étude, un sur sable et l’autre sur argile (Chavardès et al., 2021). Sur chaque site nous avons installé des dendromètres à pointe sur 5 arbres par essence (pin gris, épinette noire, peuplier faux-tremble). Les dendromètres sont des capteurs qui mesurent les fluctuations radiales des arbres à haute résolution temporelle (une donnée chaque demi-heure). L’analyse des données des dendromètres permet d’extraire des informations sur le statut hydrique des arbres et sur leur croissance durant la saison de croissance (Knüsel et al., 2021). En 2022 nous allons ajouter un nouveau dispositif ("WaterDisp") dans le territoire de la forêt de proximité ou à la FERLD (site encore à établir). Ce nouveau dispositif sera équipé d’un système d’exclusion de la pluie qui permettra de simuler une sécheresse (deux ans de traitement) sur la moitié des arbres à l‘étude qui seront dotés de dendromètres. Cela permettra d’analyser l’impact du déficit hydrique sur la croissance selon l’espèce (deux espèces à l’étude, épinette noire et bouleau blanc). L’étude se fera sur 4 arbres témoins et 4 arbres soumis au traitement par essence, pour un total de 16 arbres. Dans la mise en place du dispositif, nous utiliserons la topographie afin de favoriser un écoulement de l’eau à l’extérieur du site (microtopographie concave qui a un fort impact sur la croissance des arbres; Tauc et al., 2020). Le système d’exclusion de la pluie sera construit grâce à la mise en place d’un toit ondulé transparent fixé en angle sur une structure de bois sous la couronne de chaque arbre traité (8 toits de 4 x 4 m). L’eau s’écoulant sur la structure d’exclusion sera récupérée en plaçant une gouttière au bout du toit ondulé. Afin d’exclure également l’effet du partage des ressources entre les arbres grâce au greffes racinaires et à la redistribution de l’eau dans le sol par les racines, des tranchés de 40 cm seront faites aux alentours de chaque toit. Cette structure permanente est inspirée d’études déjà réalisées et permettra de réduire les éventuelles sources de biais dans les interprétations dues à une conception non appropriée du dispositif (Belien et al., 2014; Hanson et al., 2003; Limousin et al., 2008; Vieira et al., 2017). Des mini stations météo seront installées à chaque site de "SoilMixDisp" et "WaterDisp" et tous les flux et stocks d’eau seront mesurés (précipitation totale, captation par le toit ondulé, humidité de l’air et contenu en eau du sol). Ces sites permettront d’évaluer les déficits en eau des arbres et leur croissance selon les conditions météorologique et édaphique ("SoilMixDisp") et selon la sécheresse provoquée artificiellement ("WaterDisp"). Nous pourrons également étudier la résilience des essences après une perturbation comme une sècheresse et les réponses différentielles des feuillus et des conifères. Des questions de recherche importantes pourront être abordées. Par exemple, les arbres étudiés sont-ils capables de récupérer une croissance normale après le traitement de "WaterDisp" ? Est-ce-que les feuillus sont vraiment plus adaptés au climat récent de notre région ? Les analyses seront effectuées par une étudiante au doctorat.
À proximité du nouveau dispositif "WaterDisp", nous installerons également une nouvelle tour à flux (équipement déjà financé grâce à une demande de subvention FCI) pour répondre à l’objectif 2 du projet et analyser le bilan carbone et le cycle de l’eau à échelle écosystémique. Une tour à flux est une structure en forêt qui supporte des capteurs à des hauteurs spécifiques au-dessus de la canopée permettant d’estimer en temps réel les flux de carbone et d'eau à l’interface biosphère-atmosphère grâce à la méthode de covariance des turbulences. Cette méthode consiste à mesurer simultanément à chaque seconde la vitesse du vent dans un espace tridimensionnel et les concentrations de CO2 et H2O dans l’air grâce à un anémomètre sonique et un analyseur de gaz à infrarouge. Des calculs de covariance permettent ensuite d’obtenir les flux qui sont utilisés pour estimer la productivité primaire, la respiration de l’écosystème et l’évapotranspiration (Baldocchi et al., 1996). Le bilan énergétique est aussi obtenu en complétant les mesures avec d’autres capteurs sur la tour. Durant ces dernières années, le nombre de tours installées dans le monde a augmenté considérablement et a permis de mieux comprendre le cycle du carbone des écosystèmes face aux changement globaux (Baldocchi, 2020; Reichstein et al., 2007). Une tour à flux intègre les échanges de CO2 sur plusieurs hectares de forêt et nécessite une stabilité de la vitesse du vent. Pour cette raison nous choisirons un site relativement plat et homogène et représentatif des forêts régionales (une vaste pessière à bouleau blanc à la FERLD a été présélectionnée). La tour sera équipée d’un analyseur de gaz à infrarouge LI-7200RS (LI-COR Inc., Lincoln, Nebraska), d’un anémomètre sonique Metek (Elmshorn, Germany), d’un ensemble de capteurs pour la micro-météorologie et le bilan énergétique (Biomet, LI-COR Inc., Lincoln, Nebraska) et d’une alimentation par panneaux solaires. Les phases phénologiques de la forêt seront également suivies avec des caméras installées sur la tour pour avoir une vision de la canopée. Les données récoltées permettront d’analyser les flux écosystémiques (Baldocchi, 2003) et de développer des modèles pour simuler avec précision l’impact des changements climatiques futurs sur l’écosystème (Gennaretti et al., 2017, 2020). Les analyses seront effectuées par l’ensemble de l’équipe scientifique du projet (livrables: un article scientifique et deux conférences). Si un effet levier est obtenu grâce à une subvention ultérieure, nous allons engager à mi-temps un agent de recherche dédié aux flux écosystémiques et inclure dans notre forêt "AbitibiOuestSmart" un suivi d’un écosystème aquatique adjacent avec l’analyse des flux de carbone et d'eau à l’interface forêt-lac par méthode de covariance des turbulences. L’objectif sera donc d’analyser simultanément deux composantes principales de la région boréale (la forêt et les milieux humides) et ainsi de compléter le bilan carbone et du cycle de l’eau à l’échelle du territoire. Ces résultats seront très utiles pour fournir des indications précises sur la résilience et résistance de nos forêts aux changements climatiques.
Retombées escomptées
Ce projet permettra de pouvoir déployer sur le territoire de la MRC Abitibi-Ouest de l’équipement de recherche à la pointe et de dernière génération qui est en cours d’acquisition grâce au partenariat de l’UQAT dans des projets inter-universitaires (FCI "Smartforet" et "Foresterie agile"). Actuellement, nous n’avons pas le budget de fonctionnement nécessaire pour déployer cet équipement et ce programme de la MRC pourrait remédier à cette situation. Il y aura des retombées importantes pour la MRC Abitibi-Ouest qui aura de nouvelles infrastructures de recherche sur son territoire. De plus, l’équipement et notre projet a un grand potentiel d’enseignement et de vulgarisation scientifique aux citoyens. Ceci est crucial pour bâtir de nouvelles stratégies d’aménagement forestier partagées et adaptées aux défis de l’avenir. En effet, nos dispositifs collecteront des informations en temps réel sur les arbres et la forêt : météorologie, conditions édaphiques, croissance radiale, productivité écosystémique. Cela nous permettra de bâtir une plateforme web où les citoyens pourront observer le système forêt presque en temps réel. Cette plateforme sera conçue pour transférer les résultats, communiquer, vulgariser et enseigner l’écologie forestière en priorité aux citoyens de la MRC Abitibi Ouest. Des ateliers dans les écoles seront aussi planifiés pour promouvoir comment nous concevons une forêt "Smart" pour répondre aux défis des changements climatiques. De plus, un professionnel travaillera pour ces installations et une étudiante au doctorat fera son projet sur une partie des données. Une tour de communication sera construite pour installer l’équipement et des entreprises locales pourront participer à la construction. Cette infrastructure de recherche à la pointe sera incluse dans des réseaux nationaux (ULAVAL-UQAC-UQAT) et internationaux (AmeriFlux). Des étudiants et des chercheurs de tout horizon viendront collaborer dans ces projets de recherche innovants participant à la renommée de la MRC comme territoire dynamique et œuvrant pour une exploitation durable de ses ressources disponibles.
Applicabilité
Livrables
thèse, 3 articles scientifiques, 1 article de vulgarisation et trois conférences scientifiques
Avancement
Le dispositif "SoilMixDisp" a été installé en 2021 et cet été nous aurons la deuxième saison de croissance suivie par des dendromètres et des stations météo. Le dispositif "WaterDisp" avec le système d’exclusion de la pluie sera installé durant l’été 2022 ainsi que la structure de la tour à flux qui sera complétée durant le printemps 2023. Le suivi des données sera en continu et en temps réel avec des visites aux sites prévues aux deux semaines durant l’été (2022-2024).
Organismes subventionnaires
MRC Abitibi-Ouest, FRQNT - Établissement de la relève professorale
Financement annuel
25 000 $
Durée
2022-2025